Une fausse bonne idée

5 novembre 2024

Rendre payante Notre-Dame pour financer la restauration du patrimoine religieux :  cette idée simplissime est-elle judicieuse ?

D’abord c’est interdit par la loi de 1905, difficile à bouger (cela remettrait en question les rapports Eglise/Etat, d’autres religions s’inviteraient au débat :  embrouille explosive !). Et surtout en 1905, l’Etat confisquait les biens de l’Eglise en échange de leur entretien, contrat qu’il n’a pas respecté ! Dans les 8,48 milliards de l’actuel budget du ministère de la Culture, si l’audiovisuel (public) avec 4,03 milliards représente la moitié,  le patrimoine (tout confondu, des archives aux monuments en passant par l’archéologie) n’émarge que pour 1,2 milliard.  N’y aurait-il pas des priorités à revoir d’urgence étant donné que le patrimoine (pour s’en tenir à un aspect comptable) est le carburant du tourisme, pourvoyeur d’emplois comme de devises et de « soft power » ?

Mais surtout il y a un gros mensonge à assurer qu’« on va taxer ceci pour financer cela » étant donné que les pratiques de Bercy passent par le pot commun. Souvenez-vous de la vignette automobile crée en 1956 soi-disant pour « les petits vieux » qui n’en virent pas beaucoup le bénéfice car notre constitution de 1958 entérina le principe d’unité du budget de l’État, interdisant d’affecter une recette à une politique. Il y a donc fort à parier que la taxe récoltée à Notre-Dame n’aboutira pas au patrimoine religieux mais arrosera, par exemple, les sacro-saintes commandes d’Art contemporain, officiel et financier…

« Vu à l’étranger »

L’argument « vu à l’étranger » est sujet à caution, les situations n’étant pas comparables : en Italie, l’Etat n’a pas vraiment spolié l’Eglise par exemple (1). Ce qui est « réussite » ailleurs est-il toujours exemple à suivre ? Les chinois ont résolu radicalement l’entretien du patrimoine : en le rasant allégrement (2). La solution payante est aussi loin d’être approuvée par la population locale : les espagnols n’apprécient guère de payer 26 euros pour visiter leur Sagrada Familia.

Quel naïf peut croire que le tarif d’entrée à Notre-Dame restera à 5 euros ? Qu’il ne s’étendra pas à toutes les Cathédrales ? Et comment va-t-on trier les cœurs, comme le propose la ministre, entre touristes et croyants ? Une fois le verrou légal et mental sauté, tout le monde paiera, cher et tout le temps ! Rappelons que la restauration de Notre-Dame n’a pas coûté un sou à l’Etat, vu les dons reçus (non fiscalisés en plus) ; pire, l’Etat gagne de l’argent sur le chantier via la TVA sur les travaux !

Deux solutions

Didier Rykner propose plutôt d’augmenter la taxe de séjour (payée par les touristes) d’un euro par nuitée et surtout prendre 1,8 % sur les gains versés par la Française des Jeux (celle-ci reverse 70% des gains collectés à ses gagnants, quand on gagne des millions on peut bien en laisser un peu aux vieilles pierres). Deux solutions qui ne coûteraient rien à l’Etat, ni au contribuable, et permettraient de dégager 500 millions par an et de sauver TOUT le patrimoine, pas seulement religieux.

Se joue ici la financiarisation totalitaire de la vie humaine où l’on finira par payer pour respirer.  La culture nous y accoutume ; déjà, sur les sites des musées ou des services culturels, si vous réservez une activité (encore) gratuite, vous ne pouvez guère simplement vous inscrire : les algorithmes vous obligent à valider un achat…de gratuit ! Non-sens humain absolu mais normalité informatique…

Christine Sourgins

(1)L’Italie y a pensé au moment de l’Union Italienne. Mais certains ordres religieux ont pu faire des ventes fictives à des privés catholiques qui ont ainsi pu sauver des biens, avant qu’en 1929 le traité du Latran réajuste les choses.

(2) Ce fut un bouleversement unique « dans l’histoire de l’humanité » (dixit Frédéric Edelmann) et ce même après Mao, « depuis le milieu des années 90, avec une accélération notable des destructions depuis l’an 2000 » , soit la sélection de la Chine pour les J.O. !