Artistes et galeries tentent de s’adapter à la crise sanitaire et promeuvent le « vernissage glissant » : l’inauguration « glisse » tout au long d’une journée ou même d’un week-end à l’autre, histoire d’étaler les visiteurs, à l’inverse de ce qu’on s’échine à faire d’ordinaire : réunir le plus de monde possible au même moment, créer de la convivialité, des échanges, des émotions comme des pensées. « Glisser » empêchera-t-il le secteur culturel de déraper ?
Les grands galeristes ont, eux, d’autres terrains de glisse : Emmanuel Perrotin obtint de l’Etat le Grand Palais, vacant suite à l’annulation de la Fiac, pour y organiser une chasse aux trésors. Les 24 et 25 octobre, vingt œuvres données par ses artistes, furent cachées dans les 16 500 m2 de la nef, ou bien, pour les plus voyantes, représentées par des symboles. Participation gratuite, à condition de s’inscrire (pas plus de 400 personnes par tranche horaire) ; la valeur des lots s’échelonnait entre 1 000 et 40 000 euros pour les pièces uniques mais, par contrat, interdiction de revendre sa trouvaille avant cinq ans !
Le rapport Artprice se félicite d’autres stratégies : le street artiste Banksy ne craint pas le confinement, les rues désertes et les amendes, il a monté dès 2019 (quel flair !) sa propre boutique, la Gross Domestic Product™ (en français « Produit Intérieur Brut™ ») uniquement en ligne : le Street artiste militant y travaille par correspondance et vend de la bombe aérosol à 10£ jusqu’au gilet pare-balles à 850£. «Produits» fabriqués à partir d’objets recyclés dans son atelier, et non en usine, c’est plus chic et éthique. Cela s’appelle créer un « Marché alternatif » mais comme ces ventes servent à financer des missions de sauvetage pour les migrants, on suppose que le gros des ressources de Bansky vient d’ailleurs.
Montrer qu’on fait face à la crise, qu’on « rebondit », grâce aux nouvelles technologies est tendance. La Galerie David Zwirner, déjà très avancée avec ses “viewing rooms”, s’est dotée d’un département alloué au développement digital et aux ventes en ligne, soit une force de frappe de 12 personnes, dont quatre auraient été embauchées au premier trimestre 2020. Suite à l’annulation de son événement physique, la foire Art Basel Hong Kong glissa vers un substitut en ligne. Si la foire de Chatou, à la brocante et aux jambons, essayait de se dématérialiser, pas sûr que le barbecue numérique attira du monde. Mais la Foire d’Art contemporain de Hong Kong digitalisée a cartonné : 250.000 visiteurs virtuels en 2020 contre moins de 90.000 visiteurs physiques en 2019 !
Évidemment le Corona a stimulé la rivalité, Christie’s/ Sotheby’s. Sotheby’s partait avec une longueur d’avance suite à son rachat, en 2019, par Patrick Drahi notre magnat des médias et télécoms et, dès mars 2020, la société américaine vendait 10 fois plus d’œuvres en ligne que sa rivale londonienne Christie’s. Puis les ventes en ligne de Sotheby’s ont attiré entre 30% et 35% de nouveaux enchérisseurs. Dès juin une enchère passa le cap du million avant que Sotheby’s n’arrive à vendre -toujours en ligne – un triptyque majeur de Francis Bacon pour 84,5m$.
Mais Christie’s contrattaqua avec ONE, un concept de vente aux enchères décoiffant. D’abord, premier étage de la fusée ONE, regrouper quatre sessions de prestige en une. Quatre ventes transfrontalières à Hong Kong, Paris, Londres et New York fusionnent, en déjouant les fuseaux horaires, Christie’s vous téléporte hors de l’espace-temps, grâce à des « live » relayés sur Internet : 80 pièces exceptionnelles furent dispersées aux quatre coins du monde. ONE, vente « expérimentale », ne fait pas qu’utiliser l’ubiquité numérique, elle mise, second étage de la fusée, sur la réalité augmentée. Des QR codes associés aux œuvres permettaient de les projeter dans le salon des enchérisseurs. Les nouvelles technologies savaient déjà zoomer sur d’infimes détails, désormais, elles accrochent (virtuellement) le chef-d’œuvre à votre mur pour « motiver les intentions d’achats ». Thierry Ehrmann conclut : « pour beaucoup d’acheteurs encore, le contact physique avec l’œuvre est essentiel à la prise de décision, mais il le sera naturellement moins pour les “digital native” qui arrivent sur le Marché ». Le Corona virus arrête donc l’économie, la Culture mais pas le progrès de l’Art Financier ! Personnellement, j’attends le moment où un algorithme achètera à un autre algorithme une œuvre crée par un troisième : et nous, nous retournerons à la foire à la ferraille !
Christine Sourgins