L’Art dit contemporain est un art, conceptuel et transgresseur, issu des idées de Duchamp, un « non-art » pour certains, accrochant des langoustes bariolées aux lambris de Versailles, ajoutant des pierres tombales aux Rubens de la Galerie Médicis etc. Tandis que les installations de ce type sont mises à mal par la crise financière à New York, cet art vient se requinquer à Paris. Pourquoi ?
Louis XIV, au service du Financial Art
Depuis trente ans, l’Etat, à coup de subventions, en a fait un art officiel sous perfusion, soigné par une armada de fonctionnaires. L’opération Versaillaise en dit long : la commissaire de l’exposition Koons (cet ancien trader reconverti dans l’art) était aussi salariée de Mr Pinault ; le palais offrait un écrin prestigieux renforçant la légitimité du protégé du méga-collectionneur (1). Cette année, en 2009, le plasticien Veihlan lui succède, on annonce plus tard Murakami et Cattelan, ces derniers aussi collectionnés par l‘homme d‘affaire breton, tous poulains de la galerie Perrotin…Si on ajoute que Mr Aillagon, ancien ministre de la culture, a été plusieurs années au service de Mr Pinault, il se dessine une de ses constellations qui unit fonctionnaires et financiers (et passe par maison de vente et organes de presse, notre Breton possédant Christies et Le Monde…et une fondation à Venise). Le réseau est la clef de survie de l’Art dit contemporain, il suffit qu’il tienne bon en soutenant la valeur d’un « installateur » pour que l’AC se révèle un placement moins dangereux et plus glamour que Madoff. L’Art dit contemporain peut prétendre être une valeur refuge, voire une véritable planche à billet, échappant à toutes les contrôles boursiers. En France, il s’abrite dans le giron de l’Etat culturel : les réseaux utilisent le patrimoine comme machine à coter, ou du moins à préserver les prix par temps de crise. Seule concession, pour se donner bonne conscience auprès du contribuable, otage malgré lui : Versailles accueille le français Veihlan et l’homme du Palais Grassi s’intéresse enfin à des frenchies jusqu’ici peu représentés dans sa collection…
Paris New-York et retour…
La stratégie est toujours la même. D’abord des expositions temporaires ( à l’occasion d’une Nuit blanche) : on rassure ainsi les inquiets en disant que tout est provisoire ; puis le provisoire dure…et l’intrusion du contemporain devient un acquis, une obligation, un devoir. Ensuite vous taxez ceux qui protestent de passéistes, qui « ont plus de préjugés que d’arguments ». Dites sans rire que c’est un « lieu où Louis XIV faisait déjà intervenir des artistes vivants ». Pardi ! Refaites aussi le coup de la pyramide de Peï qui, « après la polémique, engendra la conversion » (l‘hypothèse de la lassitude n‘est jamais envisagée). Et le tour est joué ; portez l’estocade finale en invoquant le succès populaire : « voyez Koons, nous dit-on : un million de visiteurs » ! Certes, supposons les chiffres exacts (rien n’est moins sûr (2)), faisons comme si Versailles n’avait pas supprimé le livre d’or, interdit par lettre la moindre critique à ses conférenciers : que mesure ce chiffre ? La satisfaction béate ou la simple curiosité de voir « jusqu ‘où ça va » ? Quoiqu’il fasse, le public est piégé : absent, on lui dénie le droit de critiquer parce qu’il n’a pas vu, vient-il, on l’enrôle de force dans une statistique approbatrice…
Cette instrumentalisation du passé s’accompagne d’une rengaine : la crise offrirait l’opportunité d’un retour vers la qualité, le tri « des imposteurs face aux vrais talents qui durent », bref la séparation du bon grain de l’ivraie. C’est vrai aux USA, où on observe un retour à la peinture, une justification des prix par des critères esthétiques et historiques plutôt que par les garanties des réseaux. Mais si la Fiac met en avant les grands noms de l’Art moderne (Matisse ou Léger bien plus présentables que Delvoye ou Serrano), elle mise aussi sur le soutient de l’Etat qui achète, le fait savoir…et apporte l’estimable prestige de l’inaliénabilité de ses acquisitions. Le pullulement de foires off montre que le message est reçu, et Alain Seban, qui dirige le Centre Pompidou, vient de déclarer vouloir en faire « le Versailles de l’art contemporain » « notre seul alter ego est le Moma de New-York »: c’est afficher clairement son ambition (3), Paris rêve de reprendre à New-York sa place de capitale de l’Art contemporain. La force de l’art en France, c’est d’abord la force de l’Etat.
Christine Sourgins
(1) Mr Pinault est le principal collectionneur mondial de Koons.
(2) Les chiffres de participation dithyrambiques sont souvent suspectés. Récemment le ministère de la Culture a été pris sur le fait : « La Force de l’art » en 2009 était décentralisée, avec des interventions à l’église St Eustache, au musée Grévin, au Palais de la Découverte, au musée du Louvre… Pour gonfler le taux anémique de fréquentation, les organisateurs avaient intégrés dans leurs statistiques… des visiteurs des sites partenaires. « La force de l’Art, la farce des chiffres », Libération, 10 juin 2009.
(3) Article d’Antoine Le Grand, Le Figaro Magazine, 23 octobre 2009.