Le musée d’art ancien et nouveau de Hobart en Tasmanie vient d’être condamné pour discrimination le 9 avril : ce musée australien proposait une expérience immersive, strictement réservée aux femmes, car conçue en inversant les codes des anciens pubs australiens réservés aux hommes jusqu’en 1965. Surveillé par un vigile, un salon privé de 45 m², dissimulé au public par un rideau, présentait des œuvres importantes et accueillait les femmes, et uniquement elles, au champagne ! Même pas prévenu, un visiteur fut choqué d’être discriminé et attaqua en justice (1). Pour l’établissement, l’installation relevait de la discrimination positive, celle favorisant les chances d’un groupe désavantagé par ailleurs.
Discrimination positive ?
Or le tribunal a considéré que l’œuvre n’agissait pas en faveur de l’égalité des chances, bien au contraire, puisqu’« empêcher les hommes de découvrir l’art ne favorise pas la possibilité pour les femmes artistes d’exposer leurs œuvres ». On pourrait avancer un autre argument sur lequel wokistes et repentants de tout poil s’assoient allègrement : celui de la chronologie. En effet, les hommes qui excluaient les femmes des pubs ne sont pas ceux qui sont refoulés aujourd’hui par le musée ! De quel droit imputer une faute commise autrefois à de nouvelles générations ? Ne régresse-ton pas à la vedetta, où un clan se venge sans fin d’un autre, alors que la Justice s’est (ou s’était) développée pour y parer ? Fort de cette conception (inavouée) du droit, l’établissement, dans un premier temps, a préféré fermer l’installation plutôt que de l’ouvrir aux hommes, ce qui serait contraire au message de l’œuvre. Soit le sacro-saint « droit d’expression » qui secrète sa propre justice.
Et en France ?
En novembre 2023, la cour de cassation a statué dans une affaire où le Frac de Lorraine était attaqué en justice depuis 2008 par une association : lors d’une exposition sur « L’infamille », un artiste présentait une dizaine de slogans commençant par « Les enfants, nous allons… » et finissant par « à plus tard Papa et Maman ». Entre ces deux termes, Papa et Maman promettaient à leur progéniture esclavage, sodomie, mutilations, viols, assassinat, anthropophagie en prime ! Or l’exposition, accessible à tous, se déroulait dans une société française traumatisée par de nombreuses affaires de pédophilie ; comme les Frac vivent de financement public, on s’attendrait a plus de « responsabilité » (2). Après moults péripéties judicaires, les débats portèrent sur la notion d’atteinte à la dignité de la personne humaine.
La dignité humaine, affirmée dans la Convention européenne des droits de l’Homme, constitue pour la Cour européenne « l’essence même de la Convention » ; le Conseil constitutionnel a érigé sa sauvegarde en principe constitutionnel et son respect constitue, pour le Conseil d’État, « l’une des composantes de l’ordre public ». L’affaire semblait donc perdue pour le Frac.
Sauf que la Cour a opposé à la dignité humaine…la sacro-sainte liberté d’expression qui « englobe la liberté d’expression artistique, (et) constitue une valeur en soi », même s’il peut y avoir des restrictions énumérées au chapitre 10 de la Convention. Mais comme ce chapitre ne reprend pas explicitement les termes « dignité humaine », la Cour a refusé d’ériger la dignité humaine comme « fondement autonome de restriction à la liberté d’expression ». « L’atteinte aux droits d’autrui » visée par ce même article permettrait d’inclure le droit au respect de la dignitémais pour cela il faudrait, dit la Cour de Cassation, que l’atteinte fut relative à une personne donnée, pour le cas présent, qu’une famille réelle fut nommément mise en cause. Or bizarrement, il y déjà a eu beaucoup de spectacles interdits, ou des colloques empêchés préventivement (donc relevant du procès d’intention), parce que la « diversité » y serait (re)mise en cause et ce d’une manière générale. Des juristes objecteront qu’en fait, ici, l’Etat se retranchait derrière la prévention de « troubles à l’ordre public ». Mais cet argument ne peut-il cacher, commodément, un « deux poids, deux mesures » et un principe de dignité humaine à géométrie variable ?
Le poids de la culture dans les débats juridiques s’illustre par un chiffre : le budget du ministère de la Culture vaut 3 fois celui du ministre de la Justice ; question dépenses publiques, une Dati égale trois Dupond-Moretti (3) ! Voilà pourquoi l’AC continue de prospérer alors que la Justice s’étiole…
Christine Sourgins
(1) « Quiconque achète un billet s’attend à une fourniture équitable de biens et de services » dira-t-il.
(2) Aux USA, suite aux Guerres culturelles (1988-1997), la jurisprudence américaine a conclu que l’artiste peut créer ce qu’il veut, galeries, fondations etc., privées peuvent exposer ce qu’elles veulent mais l’Etat n’a pas obligation de consacrer et d’exposer un art qui bafoue des croyances et des valeurs communes, c’est à dire celles, in fine, du contribuable.
(3) Le budget de la justice judiciaire est d’un peu plus de 4 milliards d’Euros (peut s’y ajouter l’administration pénitentiaire comptant pour plus de 5 milliards) quand le ministère de la culture dépense 16 milliards d’euros pour les dépenses culturelles publiques ; et encore, il faudrait pour être plus complet, comptabiliser en plus les collectivités territoriales qui dépensent une somme équivalente à celle du ministère de la culture !