Une enquête publiée en début d’année par l’ONG humanitaire Human Rigths Watch (HRW) dénonce l’exploitation de milliers de travailleurs d’Abu Dhabi, ceux qui construisent le Louvre des sables, piloté par la maison-mère parisienne mais aussi un Guggenheim et un National Muséum en partenariat avec le British Muséum. L’émirat compte 80% d’immigrés et des entrepreneurs qui ont la manie de confisquer le passeport de leurs employés ; ceux-ci, payés au bon plaisir de leurs maîtres, sont renvoyés à la moindre plainte. La France a vendu l’usage du prestigieux patronyme « Louvre » alors qu’elle n’est pas maître d’ouvrage : Jean Nouvel fut choisi par les émiratis qui gardent la main sur ces chantiers pharaoniques. Pas de syndicats, ni d’accès à la justice ; des travailleurs expulsés par centaines après la grande grève de 2013, des « frais de recrutement » perçus par des filières d’immigration ou les employeurs et donc des ouvriers endettés avant d’avoir touché un salaire… « Tout cela donne un cocktail toxique qui facilite le travail forcé et le trafic humain » a rappelé un des responsables d’HRW (1).
Du côté des fonctionnaires culturels européens qui collaborent à ces opérations, le discours est lénifiant : ils laissent entendre qu’ils profitent des chantiers pour influencer discrètement les responsables émiratis, vers plus d’humanité, de social et de démocratie. Mais peut-on dire à Abu Dhabi « faites ce que je dis et pas ce que je fais » ?
Ainsi, à Londres, en février 2015, plus de la moitié des chargés de sécurité à la National Gallery ont fait grève contre la privatisation des fonctions d’accueil et de surveillance du musée. Selon la direction, ces changements compenseraient la baisse de subventions publiques mais « aucun emploi ne sera supprimé ». Cependant, un gardien ayant choisi de travailler en musée risque de se retrouver à garder un supermarché, si la société gestionnaire le juge bon. Une employée a déjà été mise à pied : prenant trop à cœur la défense du service public, elle avait divulgué les conditions financières du marché d’externalisation, et donc « violé le (sacro-saint) secret en matière commercial ». En fait, les musées britanniques multiplient les emplois précaires ou externalisent allégrement leur personnel comme le War museum ; la Tate Gallery de Liverpool mais aussi le Victoria and Albert museum raffolent des fameux « contrats zéro heure » obligeant un salarié à venir travailler à la demande, convoqué par simple SMS, sans assurance d’un quelconque volume horaire… bref, une forme d’esclavage branché (2). Comment les musées européens peuvent-ils éduquer leurs homologues orientaux à des « bonnes pratiques » dont ils se délestent ?
En France, on peut même se demander si les mœurs des monarchies pétrolières ne sont pas en train de déteindre. Ainsi l’émir du Pas de Calais, pardon le président PS de la région, a vu « très démocratiquement » sa propre fille Elvire Percheron recrutée au Louvre Lens pour superviser la communication et le développement des publics. Depuis le début du mois la polémique enfle jusque dans le camp de l’élu. Un hourvari semblable avait éclaté en 2012 lorsque sa fille avait déjà tenté d’entrer au Louvre-Lens mais Henri Loyrette, alors président du Louvre, avait stoppé l’opération. En 2013, même tollé quand la dame avait été pressentie pour le poste qu’elle occupait à la région avant de postuler pour le Louvre-Lens. Une fille qui n’arrive pas à s’éloigner de son papa, c’est émouvant (3). Le Louvre-Lens défend un choix rationnel. «Nous avons auditionné six candidats pour ce poste (…). Elvire Percheron était nettement au-dessus du lot», c’est gentil pour les autres. En apparence, les règles sont respectées ; la candidate a master et DESS idoines mais les membres du jury ne seraient-ils pas proches du Président du Conseil Régional ? La décision finale a été prise par Jean-Luc Martinez président du Louvre et du conseil d’administration de Lens, mais elle est peut-être liée au déménagement des réserves du Louvre à Liévin, une opération nationale mais bizarrement payée par … la Région du Pas de Calais. (4)
Autrefois, un élu se faisait gloire de n’être soupçonnable en rien et surtout pas de népotisme : les temps ont bien changé. Quand ils entendaient le mot culture, certains sortaient un revolver, personnellement je sors mon agenda ; mais dans un bassin minier où le chômage règne, certains pourraient être tentés de dégainer le bulletin de vote…(5)
Christine Sourgins
(1) Le Monde, 13 février 2015, p. 21.
(2) Le Monde 10 février 2015 p. 27
(3) On se rappellera l’indignation soulevée contre le président Sarkozy qui voulait placer son fils à la tête de l’EPAD à La Défense, il y a quelques années : le tapage fut tel que le président recula.
(4) Il est question de transférer les réserves du Louvre à Liévin pour échapper à l’inondation de la Seine ; mais le site choisi semble…inondable ( ?) Cette externalisation des réserves serait une catastrophe majeure selon la Tribune de l’art, certains évoquant même « la fin de l’idée de « musée » » sic. Plus d’info
(5) Dernier petit trafic culturel : Agnès Saal, après avoir travaillé à Beaubourg, dirige l’INA, elle se voit reprocher 40 000 euros de notes de taxi en dix mois : plus d’info