Un artiste danois, Jen Haaning, connu pour avoir encadré le salaire moyen annuel via de vraies couronnes danoises, est sollicité par le Musée d’art moderne Kunsten : ce centre d’art, danois, ne peut donc ignorer ni ses méthodes ni celles de l’AC. L’artiste est sollicité pour l’exposition Work It Out, sur « la relation entre l’art et le travail ». L’institution lui a prêté des couronnes danoises (soit 84.000 dollars) afin de « réinterpréter ses œuvres cultes de billets de banque ». On peut s’étonner qu’un musée prête à l’artiste son matériel : classique confusion des genres où les musées sont « co-producteurs » de l’AC. Or Il est admis que leur participation aux frais n’entraine guère de retour sur investissement. Ici “l’argent provient de modestes réserves affectées à l’entretien du bâtiment » : que le soin du patrimoine soit détourné au profit de l’AC, c’est fort courant. C’est pourquoi la réaction effarante du musée (se plaindre) est proprement incroyable !
Car l’artiste envoie deux tableaux blancs titrés Take the money and run (”Prends l’oseille et tire toi”) et garde le magot ! Génial œuvre d’AC correspondant aux critères rappelés récemment par la spécialiste N. Heinich : « transgresser les attentes du sens commun concernant ce que doit être une œuvre ». Un grand maître, cet Haaning, collant à la thématique de l’expo : “devons-nous travailler pour avoir de l’argent, ou pouvons-nous simplement le prendre?” en est la question fondatrice aux dires du directeur du musée. Haaning réinterprète en sus le thème usé du monochrome et au lieu de recevoir des félicitations se voit menacé de poursuites judiciaires ! Contractuellement, Haaning doit rendre l’argent au 16 janvier 2022 mais lui soutient, avec raison, que le travail a été fait : prendre l’argent. Ajoutant : “ce n’est pas du vol. C’est une rupture de contrat, et la rupture de contrat fait partie de l’œuvre.” La presse, qu’on a connu moins « vierge effarouchée », trouve qu’il va un peu loin ; pardi, pour une fois qu’est explicitée l’essence de l’Art financier : prends l’oseille et tire toi ! Ce sont des choses à faire mais pas à dire, dans notre société planétaire du « en même temps » qui veut la transgression et l’argent de la transgression. Mais il n’est pas sûr que la mésaventure danoise sonne le retour du réel, car voici une autre captation, de ce qu’il est convenu d’appeler le « capital réputationnel » d’un musée ou d’un artiste prestigieux (apte à être monétisé par ailleurs).
Le musée parisien Marmottant organise jusqu’en avril 22 une « confrontation » entre Monet et Jean-Pierre Raynaud, celui qui depuis presque 60 ans multiplie pots de fleurs géants, carrelages blancs, assortis de la destruction de sa maison etc Comment un conceptuel pourrait-il « rencontrer » le peintre Monet ?
Grâce d’abord, dit le dossier de presse, à sa formation d’horticulteur – et non de beaux-arts – sa première œuvre impliquant un pot de fleurs et un pot de peinture. Sentez-vous déjà un parfum de nymphéas ? Monet et Raynaud ont un point commun « la force du geste », la « radicalité » (sic, je n’invente rien !). « Le fait que Raynaud ne soit pas peintre ne l’interdit aucunement à aborder la question de la peinture » re-sic. « Le mot peinture est une œuvre en soi, je le revendique en tant qu’œuvre. Ici l’idée de peinture m’apparaît plus forte que la peinture elle-même » clame notre Jean-Pierre national qui va accrocher une série de pots de peinture sur une surface dédiée en regard de Monet. Ce qui « souligne la pertinence d’une posture qui réfute toute séduction », encore vrai, mon marchand de couleurs fait plus vendeur !
Gardons le meilleur pour la fin : « l’expérience de l’art (de notre J-P) assure le regardeur de ne pas en sortir indemne, donc d’y gagner un supplément d’être ». Raynaud métaphysique ? Ca ressemble tellement à un gag que les bonnes âmes, curieuses, viendront voir et, comme le prophétisait Baudrillard (1) : elles viendront pensant trouver une réponse, sans se rendre compte qu’elles viennent en réponse. Car leur présence sera présentée comme approbation ; donc ne rions pas trop des mésaventures danoises, chez nous aussi c’est « Prends Monet et tire toi » !
Christine Sourgins
(1)Baudrillard dans « Simulacres et simulation », Galilée, 1981, dénonçait déjà l’hyper-culture qui n’est que simulacres voir p. 94 à 111.