Le Frac Lorraine présente Betye Saar, Joan Mitchell a les honneurs de la Fondation Vuitton, Alice Neel est au centre Pompidou ; les « collages politiques » de Mickalene Thomas trônent à l’Orangerie … en cette fin d’année, dans les institutions françaises, être femme c’est tendance mais être américaine c’est mieux. Avec quelques « surprises » : interviewée par le Monde (1) Mickaelene Thomas s’intéresse aux impressionnistes, son interlocuteur (Ph. Dagen) rappelle alors (classiquement) l’importance de ces derniers dans la genèse de l’art américain, particulièrement dans l’Abstraction (d’où le rapprochement Mitchell/Monet). Mais voilà que M. Thomas « zappe » l’Expressionnisme abstrait des années 50, congédiant la période phare de l’art américain, Pollock, Kline, Rothko et consort ou même Lee Krasner, pour citer une femme. M. Thomas ne retient que « des artistes afro-américains figuratifs dont la reconnaissance ne s’est amplifiée que dans les dernières décennies » dixit le journaliste un peu surpris. Certes, chaque artiste est tout à fait libre de choisir ses références mais ne poindrait-t-il pas ici une réécriture genrée et/ou communautariste de l’histoire de l’art ?
Car M. Thomas qui travaille le collage (vidéo), « croise les questions de genre et de race avec l’histoire de l’art » comme l’indique en sous-titre le Monde. Or dans l’art moderne, le collage acquiert ses lettres de noblesse grâce au cubisme de Braque et Picasso. Si l’influence de la sculpture africaine sur le cubisme est indéniable, influence n’est pas filiation : la statuaire ibérique cliquer joue également son rôle dans la genèse des Demoiselles d’Avignon… comme la filiation Cézannienne pour assembler mentalement différentes facettes d’un objet. Mais Mickalene Thomas reformule l’histoire du collage sans nuances : cette pratique « vient de la culture africaine à travers le cubisme ». Pourtant la statue composite (hétérogène de matériaux, bariolée de couleurs) remonte à l’antiquité, traverse l’art occidental, connait un regain au XIXème siècle (2). De plus, des collages, de l’hétéroclite, du fragmentaire, il y en avait déjà beaucoup aux Arts incohérents qui firent courir tout Paris à la fin XIXème siècle, donc avant le cubisme (3). Enfin le collage n’est le monopole d’aucune culture : l’esprit « patchwork » est couramment répandu, jusqu’au Boro japonais. Bref, similitudes et parallélismes ne veulent pas dire transmission et filiation, pas plus que corrélation n’égale causalité. Restons vigilants car, outre les manipulations intellectuelles, des manipulations bien matérielles ne sont pas à exclure, ainsi à propos des Arts incohérents.
On sait que ceux-ci sont la source (souvent inavouée) de bien des œuvres dadaïstes ou d’Art conceptuel (2) ; on se souvient de l’émoi provoqué par la découverte d’une malle oubliée remplie d’œuvres incohérentes que l’on croyait perdues. Orsay la convoitant, le Ministère déclara la fameuse malle « trésor national ». Mais des journalistes de Libération ont trouvé l’histoire trop belle et décidé d’enquêter. Il s’agirait, selon eux, au moins pour une part, d’une forgerie … Pour en savoir plus sur cette histoire de l’art « mise à malle » : cliquer
Affaire à suivre…
Christine Sourgins
(1) Les collages politiques de Mickalene Thomas, Ph. Dagen ; Le Monde 3/11/22, p.23.
(2) Cf l’exposition d’Orsay « Sculpture polychrome en France 1850-1910 ».
(3) Le monochrome est une invention d’Alphonse Allais… bien avant Malevitch !