Les oubliés de l’exil

17 décembre 2024

Le Louvre-Lens, situé dans un bassin minier « terre d’immigration, riche de toutes les cultures », consacre une grande exposition au thème de l’Exil. « EXILS – Regards d’artistes » explore les liens entre déracinement et création mais aussi « le rôle décisif de la rencontre et de l’accueil ». Une vision pluridisciplinaire sur l’expérience humaine de l’exil traversant époques, géographies et faisant la part belle à la création contemporaine…

Méli-mélo

Le statut de réfugié, la notion de « camp », « d’émigrés », de « déplacés » sont abordés avec une ambition panoramique partant des grands mythes et récits fondateurs :  la Bible (exode d’Egypte, exil à Babylone…), le Coran, l’Odyssée, l’Énéide etc.. De quoi convaincre que « le nomadisme fait partie de la condition humaine » et rejoindre les mobilisations du moment puisque les déluges mythiques renvoient à l’urgence climatique qui a ses actuels et futurs réfugiés.

Parmi les artistes exilés, certains ne cessent de créer, tels Jacques Louis David, qui meurt à Bruxelles, Gustave Courbet en Suisse, Victor Hugo exilé à Jersey puis Guernesey. Mais les allers-retours entre œuvres contemporaines et classiques interrogent : les représentations de traversées maritimes liées à la crise migratoire de Méditerranée doivent-elles « résonner » avec la barque aventurée sur les flots peinte par Manet et montrant « L’Évasion de Rochefort » ? Certes l’exposition « interroge les liens entre création et sentiment d’exil » mais peut-on comparer la retraite volontaire de Delacroix à Champrosay, s’isolant pour mieux se consacrer à son art, avec des parcours souvent mortels ? Comme le note le Journal des arts, la présentation d’aquarelles d’Henri Michaux et de son « exil intérieur », semble maladroite à quelques mètres de l’évocation d’exils, eux, bien réels ; et bien douloureux.

Le Louvre-Lens multiplie séances de cinéma, théâtre, débats, concerts, lectures avec animations dédiées y compris pour « Bébé au musée » (9-18 mois) invité à fouiller « Les grands sacs de Noé » ou « Dans mon cabas, il y a… », prétexte à « une expérience sensorielle »sic mélangeant allégrement voyages et migrations. N’oublions pas, outre les visites en langue des signes, la succulente « visite dinatoire » sic, certes patronnée par une association accompagnant des cuisiniers réfugiés. En cet hybride du festif et du tragique, Debord aurait-il vu l’exil transformé en spectacle ?

Les bons exilés et les autres

La volonté d’évoquer « les exils dans leur diversité » doit reconnaitre que les exils ne sont pas tous de même nature : l’exil peut être planifié, certains partent pour compléter leur formation, fréquenter des écoles d’art françaises, puis restent en France. On n’insistera pas sur certains exils « dorés », du moins avec une dose d’opportunisme, comme celui de Marcel Duchamp qui échappa, grâce à l’Amérique, à la mobilisation lors de la première guerre mondiale et sauva sa peau…

Certains choix étonnent : le dossier de presse met en valeur le dessinateur républicain espagnol Josep Bartoli et pas cet autre dessinateur républicain José Cabrero Arnal. Est-ce parce que le premier devint l’amant d’une personnalité en vogue, Frida Kahlo, et mourut au bon endroit, à New-York ?  Alors que le second, Arnal, mourut bêtement à Antibes et ne fut que le merveilleux créateur de Pif le chien qui réjouit des générations d’enfants de France (mais pas de Navarre) !

Parmi les recalés de l’institution, « le Juif errant, Napoléon en exil à Sainte-Hélène », la presse l’a noté, ne sont pas tendance.  Ajoutons-y ces milliers d’artistes ostracisés en France par les institutions (et les chercheurs, les sociologues n’étant pas en reste) parce que non duchampiens. Les artistes de la main pensante subissent un exil forcé depuis les années 1980, condamnés à l’exil intérieur car n’ayant pas les moyens de partir à l’étranger, à Nouille-Orque. Ils sont français-exilés en France, mais pas toujours (1): puisque 2025 approche, formons le vœu qu’un universitaire curieux (et courageux) enquête enfin sur ces peintres ou sculpteurs réfugiés, par exemple, de l’Est soviétique, et qui, débarquant à Paris, reçurent les oukases d’Inspecteurs de la création, nos commissaires politiques les rééduquant à être un bon artiste subventionnable ! Certes, le tabou « anti-peinture » chancelle mais essentiellement au profit des « jeunes », discriminant cruellement les générations qui ont lutté dans le désert. Tous ceux-là, l’expo du Louvre-Lens les ignore : ce sont pourtant des exilés absolus puisqu’ils sont les exilés de l’Exil !

Christine Sourgins

(1) Fort de ce constat, le musée de Patagonie imaginait que des artistes ostracisés demandent l’asile poétique au roi de Patagonie …