En avril, la 37ème foire de Bruxelles se caractérisait par l’abondance « de la peinture-peinture… » c’est-à-dire « des tableaux peints, si possible à la main, et parfois par l’artiste lui-même » sic. Or cette foire n’est pas ringarde, c’est même la plus contemporaine : 800 artistes exposés, 90% encore vivants ; un tiers à moins de 40 ans. Une foire innovante qui admet de jeunes galeries au fonctionnement nomade, voire sans but lucratif…qui plus est fréquentée par les collectionneurs belges qui sont, d’après Harry Bellet, « les mieux informés et les plus pointus du monde »(1). C’est dire si, en dehors de la France, la peinture reste appréciée. Au passage, on apprendra, qu’il se passe des choses inimaginables (dans notre hexagone) à la foire de Cologne : « les galeries allemandes y vendent des artistes allemands à des collectionneurs allemands ». Étonnant aurait dit Desproges, non ?
2019 c’était aussi la foire de Bâle (2) et Gagossian en a profité pour ouvrir une 17éme galerie. Tous les 2 ans, la foire profite de l’effet « vu à Venise, vendu à Bâle » et cette année « les millions pleuvent » sic. En fait la vertueuse biennale est synchronisée avec la très lucrative foire et « jusqu’en 1968, la Biennale percevait même un pourcentage ! ». Maintenant, tout est « clean » au point que la tendance lourde à Bâle était… un art social ! Oui, vous avez bien lu ! Pourtant Art Basel n’ouvre au grand public que le jeudi et le dimanche seulement, à un tarif prohibitif : 52 euros, plus cher que la Fiac ! De l’art social pour que les hyper riches aient bonne conscience, alors ? En tout cas à Bâle, on ne rigole pas avec l’écologie : interdiction absolue des récipients de plastiques à usage unique dans les restaurants de la foire ! Curieusement rien n’est prévu pour réduire l’empreinte carbone de la noria des jets privés qui se posent et décollent sur l’aéroport de Bâle-Mulhouse…
Et chez nous ? Il y a eu l’inauguration en fanfare du Mo.Co à Montpellier, un centre d’art contemporain qui ambitionne de créer alentours « une sorte de Californie française qui s’étendrait sur tout le rivage méditerranéen »(3). C’est le défi géopolitique que s’est lancé le maire de Montpellier Philippe Saurel (divers gauche) qui veut donner « toute sa place à l’art contemporain » et qui a appelé dès 2016 Nicolas Bourriaud à la rescousse. On ne présente plus le fondateur de la revue Perpendiculaire, le père de « l’esthétique relationnelle », du concept de « sémionaute », le créateur ( avec Jérôme Sans) du Palais de Tokyo new look et le seul cité par Square, palme d’or à Cannes. Comme ce film était une brillante satire de l’AC, on peut se demander si c’est un compliment, d’autant que la presse glisse sur les états de service de Nicolas aux Beaux-Arts de Paris, vilipendé par ses propres étudiants qui lui reprochaient de manquer de relationnel (un comble pour le fondateur de l’esthétique du même nom) et de les priver de salles de cours en louant le patrimoine public au secteur privé. Or que verra-t-on au Mo.co ? Avec l’exposition inaugurale « l’art conceptuel est l’honneur » grâce à la collection d’un homme d’affaire japonais. Réalisée par une commissaire chinoise, une autre exposition « fourmille surtout de vidéos, venues du monde entier ». Peu de peinture-peinture donc, les artistes français repasseront. Mais c’est le principe même du Mo.Co qui fait question : « un endroit où naitront des projets conçus à partir de collections privées ». Quoi le patrimoine public et l’argent du contribuable serviraient à mettre en valeur le patrimoine privé ? Serait-ce le retour de Pépé le Moco ! (pour les plus jeunes : Pépé le Moko est un caïd joué par Jean Gabin dans un film de Julien Duvivier de 1937)
Christine Sourgins
(1) Harry Bellet, « La foire Art Brussels hume l’art du temps », Le Monde, 27 avril 2019, p.26
(2) Harry Bellet « une foire de Bâle « politiquement correcte », le Monde, 15 juin 2019, p. 21.
(3) Mo.Co, Montpellier contemporain, Cahier du Monde du 27 juin 2019.