Discrimination au passeport
Une constante régit les entrées dans les musées et monuments culturels : plus le visiteur vient de loin, moins il est sensible au tarif. Car le touriste, venu pour la première et souvent l’unique fois visiter un chef d’œuvre est prêt à y mettre le prix, fier, en plus, de participer à l’entretien des lieux. Tous les français, du moins ceux qui ont le budget pour voyager, le comprennent et s’y soumettent volontiers. Ainsi le Grand musée égyptien du Caire demande 4,50 euros aux « locaux » et 30 aux étrangers. Même le Metropolitain Muséum of Art de New-York, qui acceptait jusqu’en 2018 que le prix de l’entrée soit fixé … par le visiteur (!), a changé de politique. Car ce « chacun donne ce qu’il veut », comble du libéralisme, a fait long feu devant une prosaïque réalité : de grands travaux à financer. Le billet est passé d’office à 30 dollars mais la gratuité pour les habitants de New-York est maintenue.
Et la France ?
Ce pays surendetté, en déséquilibre budgétaire depuis près de 40 ans, dont les musées et le patrimoine souffrent de la crise sanitaire puis de l’inflation, va-t-il réviser ses tarifs ? Se refaire une santé financière en profitant de la manne touristique qui va déferler l’an prochain dans la foulée des jeux olympiques ? Pas sûr : Paris, première destination touristique au monde, ne démord pas de la gratuité de ses collections. Il serait pourtant facile d’instituer des tarifs à deux vitesses, pour les « prochains » et les « lointains », en arguant de l’urgence écologique, ce qui répondrait aux militants écolo-radicaux attaquant les œuvres à la sauce tomate.
Préférence nationale ?
Au Louvre, au musée d’Orsay, au Centre Pompidou ou à Versailles un jeune jusqu’ à 26 ans ne débourse rien sauf s’il réside hors Union Européenne. Mais cette timide avancée laisse tout de même 40% des visiteurs entrer gratuitement au Louvre. Or, dans la bureaucratie culturelle, la discrimination au passeport ne passe pas. Pas question d’en faire plus. Pourquoi, puisque des sondages montrent que relever les tarifs ne freinerait pas les touristes ? Par idéologie.
Parce que le tarif d’un musée français doit être comme les Droits de l’Homme : universel. Que discriminer selon les origines est inélégant, quasi-incivique, populiste certainement. Michel Guerrin qui s’en plaint dans le pourtant très correct Le Monde (1), ajoute : « certains ont dû penser « raciste » ». Bref, cachez-moi cette préférence nationale que nous ne saurions voir ! Et si l’Etat doit combler le manque par une subvention (pour le Louvre, par exemple, passée de 84 à 93 millions en 2023), les contribuables (présents et à venir puisque c’est de la dette) paieront !
Or être généreux du bien des autres (celui des générations futures), est-ce encore de la générosité ? Ou est-ce le mépris du prochain (imposable sans merci) au profit d’un lointain aussi abstrait qu’irréel (puisque les étrangers ne se formalisent pas des doubles tarifs !). La charité de notre nomenclatura culturelle procède de Lacan : « l’amour c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » !
Christine Sourgins
1 Michel Guerrin, « Au musée, le tabou du « tarif touristes ». Le Monde 25/03/23, p.30.