« Versailles, ce passionnant laboratoire de notre malaise patrimonial », la formule est d’Alexandre Gady, universitaire et président de la SPPEF (1) dans une tribune libre parue dans le dernier numéro de l’Objet d’Art.
Chacun connaît la politique d’ouverture du Palais, pour ne pas dire d’entrisme, déployée au profit de l’Art dit contemporain, l’AC, officiel et financier. On a tout dit sur ces opérations de captation du patrimoine au service d’intérêts particuliers. Une pièce d’une collection privée exposée dans un lieu de prestige historique voit sa cote renforcée, ce qui pose un grave problème de neutralité au service public. Mais on nous assurait que l’opération était, comme disent les américains, « gagnant/gagnant » pour Versailles aussi. Grâce à Koons (2008), Veilhan (2009), Murakami (2010) Venet (2011), Vasconcelos (2012), Penone (2013), Lee Ufan (2014), en attendant prochainement Anish Kapoor (du 16 juin au 1er novembre 2015), Versailles gagnait…des entrées supplémentaires… donc des euros !
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Problème : le palais de Versailles a-t-il besoin de public supplémentaire ? Oui, si l’on est fonctionnaire et que l’on participe à cette course effrénée au chiffre pour faire mousser sa carrière…au détriment du château qui souffre de cet afflux de visiteurs. Au point que la sagesse serait d’établir un numérus clausus, mais la bureaucratie culturelle fait mine de ne pas comprendre que le Palais est fragile et non extensible. Si elle le pouvait, elle construirait des ailes supplémentaires, certains y pensent, n’en doutez pas : passer à la postérité comme constructeur de Versailles au XXIème siècle, quelle gloire pour l’architecte, le « mécène », l’administrateur et le politique qui conduirait la manœuvre !
Utopie ? Que nenni. Comme Versailles étouffe, les supposés gardiens du patrimoine ont déjà prévu d’altérer le corps central pour mettre en place un système de «rafraîchissement d’air», la température dans les appartements royaux étant intenable lors des grandes affluences. D’où, s’indigne Alexandre Gady, un véritable «traumatisme» pour le bâtiment avec la « destruction d’un bel escalier du XIXème, dépose d’une partie des marbres du Salon de la Paix, gaines dans les murs, sortie de la soufflerie apparente dans les parquets ». A quand des tapis roulants dans la galerie des Glaces pour accélérer le transit des touristes ?
Versailles ne manque pourtant pas de possibilités pour « aérer » les visites : pourquoi ne pas utiliser les salles consacrées à l’histoire de France, salles si souvent fermées ? Il est vrai que l’on n’est guère fier de l’histoire de France en haut lieu. On préfère donc que les touristes s’entassent pour une visite si compacte qu’ils en ressortent en pensant que Marie-Antoinette est l’épouse de Louis XIV… La politique du chiffre, et donc celle des expositions promotionnelles d’AC, se retourne contre le bâtiment et « grève ses budgets de manière sensible, comme au Louvre où l’on dépense en ce moment 70 millions d’euros pour améliorer l’accueil de la pyramide, désormais saturée ».
Christine Sourgins
Historienne de l’art
(1) Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France. Les architectures locales étaient menacées par une nouvelle loi « biodiversité et paysages » : chacun aurait pu isoler sa maison par l’extérieur et n’importe quelle façade pouvait alors devenir un blockhaus mou, effaçant les modénatures et l’esthétique du bâtiment. Pour voir ce qui risquait d’arriver, cliquez. Cette atteinte aux paysage remettait en cause l’économie du tourisme, une des rares non délocalisables ! La SPPEF et les associations de défense du patrimoine ont obtenu la protection des bâtiments construits avant 1948 et construits en matériaux traditionnels.