Le film de Christophe Cognet « Parce que j’étais peintre » est le documentaire que l’on attendait sur la peinture dans les camps d’extermination : que n’a-t-on pas dit contre la Peinture et sa supposée inutilité, sa ringardise, son inefficacité face à la barbarie.
Dans ce film, les historiens sont présents, certes, mais discrètement, pour mieux laisser la parole aux artistes déportés encore vivants et confronter les œuvres à ce qu’il reste des lieux concentrationnaires aujourd’hui, sans pathos (pas de « sauce » musicale qui engluerait le propos par exemple). Le film enquête sur ces croquis et dessins réalisés clandestinement, et pose d’emblée la question de la Beauté : avait-elle sa place dans les camps ?
Même s’il n’y a pas de réponse unique, certains peintres, eux-mêmes plongés dans l’enfer des camps, ont répondu et répondent encore oui. Le peintre slovène Zoran Music (déporté à Dachau), dont une citation sert d’exergue au film, exprime une « nécessité intérieure absolue » de représenter ce qu’il voit y compris les exécutions de masse. Témoigner est une exigence irrépressible pour un artiste. Mais se posent aussi les problèmes du statut de l’œuvre et du droit d’auteur : Dinah Gottliebova dont les aquarelles furent retrouvées dans les papiers de Mengele, réclamera en vain la restitution de ses œuvres considérées comme archives.
Le va et vient entre l’image et son texte est aussi exploré : les dessins étaient souvent annotés pour préciser les lieux, les dates, les faits. Beaucoup d’artistes ont écrit sur ce qu’ils dessinaient « pour qu’il n’y ait pas de doute » : l’image seule ne suffit pas à convaincre de sa véracité. Certains dessins ressemblent alors à des bouteilles jetées à la mer ainsi le carnet d’Auschwitz retrouvé caché dans les fondations de baraquements. Ces conditions extrêmes de survie et de création en disent long sur l’art en général et ce film lave l’Art des accusations portées contre lui, à la suite des déclarations d’Adorno : « écrire un poème après Auschwitz est barbare ».
« Parce que j’étais peintre » montre que dessiner était un acte de résistance car c’est un geste, aussi infime et fragile soit-il, profondément humain. Il le reste d’ailleurs. (Le film est diffusé dans un petit nombre de salles mais sortira sans-doute prochainement en DVD).
Christine Sourgins