L’une des manières de rendre hommage aux victimes des derniers attentats est de continuer nos combats pour la liberté d’informer comme de penser, avec une conscience plus aigüe de la fragilité de la vie et de la civilisation que nous essayons de défendre…
Bruxelles et son quartier de Molenbeek, d’où sont partis les tueurs, étaient sous les feux de l’actualité au moment où je lisais la page 38 du dernier livre d’Aude de Kerros « L’imposture de l’art contemporain »(1). On y apprend que Bruxelles est la ville laboratoire d’un nouveau courant : « l’art local global ». Attention, dans l’article du New York Times qui détaille le phénomène, la valeur des mots change : local ne signifie en rien provincial. « Pour ce qui est de l’art contemporain, c’est la hiérarchisation financière qui départage le « global » du « local » »(2). Mais à Bruxelles le concept s’affine. «C’est un art aux tendances variées, collectionné sans complexes, sans prescripteurs institutionnels comme c’est le cas en France, où l’on ne dédaigne pas les artistes vivant et travaillant sur les lieux ». En 2016, Bruxelles accueillera une succursale de la foire alternative new-yorkaise « Independent » fondée en 2010 et qui diffuse ce nouveau concept. Ironie du langage : « independent » désignera en fait une dépendance américaine en Europe !
« Ainsi les stratèges du marketing globalisé, spécialisent le rôle des capitales : Paris est le « showcase », (la vitrine de l’AC), Berlin le lieu de production, New-York et Londres les places financières, etc. Pourquoi Bruxelles hérite-t-elle du « local global » ? « Elle n’a pas de culture dominante » précise le New York Times. Aude de Kerros conclut qu’en effet « on y trouve des fonctionnaires internationaux, des flamands et des wallons, des minorités, sans compter une forte communauté musulmane, et enfin de riches réfugiés fiscaux français. Le terreau idéal ! ».
Bien sûr ces lignes ont été écrites avant le 13 novembre mais elles laissent rêveur sur les réseaux d’influences qui se nouent dans la capitale européenne. D’autant que la Belgique est à nouveau citée, aux côtés de la Turquie, Singapour, et les pays du Golfe, comme plaque tournante pour le pillage des trésors archéologiques.
On vient de découvrir à quel point les Islamistes n’aiment pas le rock, on savait qu’ils détestaient les musées, créations européennes et symboles à abattre de la domination coloniale… Mais on s’aperçoit que, non contents de détruire les sites archéologiques, tel Palmyre, ils commercialisent aussi de menus objets, ou concassent les grandes statues pour les envoyer par la poste, et multipliant les fragments, multiplient les profits. C’est le chercheur syrien, Cheikhmous Ali, attaché à l’université de Strasbourg (une autre capitale européenne) et président de l’Association pour la protection de l’archéologie syrienne qui a révélé le cas d’un Syrien rémunéré par les princes du Golfe pour vandaliser le patrimoine du pays. Bigre, « nos alliés locaux « , dont l’Arabie Saoudite, organiseraient ces pillages pour décorer leurs palais ? C’est ce qu’indique un article du Point (3) qui n’hésite pas à titrer « Condamner les pilleurs de trésors archéologiques pour crime de guerre ». Car ce petit commerce représente tout de même « 15 à 20 % des ressources pécuniaires de l’organisation terroriste Daesh.
Aussi 18 novembre à Drouot, lors d’une table ronde contre le trafic des antiquités, Jean-Luc Martinez, président-directeur du Louvre, préconisa 50 mesures dont la création d’une liste noire des paradis du recel. Il mit aussi en cause certains ports francs, « où aucune obligation d’inventaires à l’intention des douanes n’est imposée ». Le directeur du Louvre dont la première mesure consista à stopper net la création bien avancée d’un département consacré aux arts des chrétientés d’Orient, (cf le Grain de Sel du 3 mars 2015 cliquer ) est, bizarrement, à la pointe du combat ; il ne s’agirait pas que le Louvre d’Abou Dhabi, qui ouvrira en 2016, récupère malencontreusement une pièce de provenance douteuse…
Si les trésors célèbres et répertoriés sont invendables, il existe un marché gris. « Nous avons des cas où des objets de grande valeur ont servi de caution lors de livraisons de drogue ou d’armes ». Tiens, servir de caution, ou user des œuvres comme d’une monnaie virtuelle, c’est aussi un des fonctionnements de l’Art financier que décrit par le menu « L’imposture de l’Art contemporain, une utopie financière »… Un livre à lire absolument si vous voulez savoir comment ce système marche et surtout comment il arrive à s’adapter, à se métamorphoser et à croître sans embellir…
Christine Sourgins
1 – Aude de Kerros « L’imposture de l’art contemporain« , Eyrolles, 2015.
- Aude de KERROS interrogée par Jack MOYAL https://www.youtube.com/watch?v=oxCulpPrfGc
- Entretien avec Aude de Kerros sur la chaîne France 24 (11 mn)
http://www.dailymotion.com/video/x3fi2ht_art-contemporain-un-business-artificiel_news
2 – ibid, p.104.
3- Publié le 20/11/2015