- Le Grain de sel prend des vacances jusqu’au 13 janvier : bon Noël et bonnes fêtes !
Le hors-série de Télérama consacré à « l’Art contemporain, origines, acteurs, enjeux » est une fausse bonne nouvelle. Ceux qui commenceront par la fin, et je vous y invite, y trouveront deux articles pas ordinaires. Celui d’Alain Margaron démontre que Finance et Art dit contemporain, AC, prolifèrent et se déconnectent de la réalité de concert : rien de nouveau mais que Télérama le dise montre que le vent tourne. On se frotte les yeux de lire un éloge de la Peinture qui « a pour elle que l’on peut la fréquenter au quotidien durablement et sans l’épuiser …» ; un retour de celle-ci « n’est pas seulement souhaitable mais possible peut-être même imminent » ! Le dernier article, celui d’Olivier Cena, est encore plus démystifiant pour l’AC, abordé sous l’angle du blanchiment d’argent, rappelant certaines affaires, les trucage de cotes autour de Jeff Koons mais oubliant la récente condamnation de Helly Nahmad, membre d’une puissante dynastie de marchand d’art. Cena conclut sur » l’un des grands apports du marché de l’art contemporain : il ne fabrique pas de fausses œuvres d’artistes reconnus il fabrique directement des artistes » … aux carrières surfaites mais bankables (Abdessemed, Zeng Fanzhi, Koons, Hirst, Cattelan sont cités). Insidieusement, la responsabilité des médias est dédouanée « en cette affaire les médias ont de moins en moins d’importance » autrement dit, le journaliste n’est libre que d’applaudir non de blâmer, sinon il perdrait sa place (ce qui ne saurait être une réelle contrainte, c’est moi qui souligne, à condition d’avoir un peu d’honneur et de courage). S’il est douteux que l‘Art moderne se résume à un « formalisme », retenons que le capitalisme financier a inventé « une martingale infaillible pour gagner à ce jeu de dupes ultralibéral qu’aucune règle, contrairement au jeu boursier ne bride », cette récupération de l’art étant une « stérilisation de ce qu’il a de subversif, de transcendant et de désaliénant pour l’homme. »sic
Ainsi l’omerta se craquelle , ce qui va peut-être libérer la parole des commentateurs et desserrer l’étau de l’artistiquement correct. Cependant, ces 2 articles, en fin d’ouvrage, non illustrés, avec des titres peu attractifs, voir trompeurs, risquent de ne guère être lus…alors que l’ouvrage s’attarde complaisamment sur 4 phares de l’AC : Duchamp, Klein, Beuys et Warhol, pour finir par un cahier d’illustrations avec photos glamour des actuelles stars de l’AC, sans aucun commentaire ! Le lecteur se demande alors comment, par quel tour de magie, on a pu en arriver à la situation dénoncée par les articles finaux ! La collusion des détenteurs du pouvoir, critiques des grands médias, commissaires en vue, grandes institutions muséales, etc. avec la finance en folie… des décennies d’analyses et de luttes des opposants à l’AC, RIEN, silence, un vide, une béance , juste le choc des photos !
Télérama laisse entendre que Duchamp a été trahi par ceux qui se réclament de lui … Artension a fait depuis longtemps un dossier sur ce sujet. B. Marcadé montre un Duchamp dépassé par les écluses qu’il avait ouvertes par jeu, lui qui « espérait décourager le carnaval de l’esthétisme » doit s’agiter comme un roto-relief dans sa tombe : « on peut faire avaler n’importe quoi aux gens, constatait le lucide Duchamp, c’est ce qui est arrivé ».
L’article sur Yves Klein montre bien l’enchaînement logique des œuvres, une certaine sincérité, qui toucha sa galeriste Iris Clert, mais réfute toute comparaison avec les monochromes d’Allais : des facéties ! Comme si prendre des facéties au sérieux ne pouvait être un des ressorts de la catastrophe finale. Saluons l’admirable tournure langagière « ces modèles ont utilisé leurs corps comme des « pinceaux-vivants » » qui exonère Klein et reporte toute responsabilité sur les modèles nues, obligées de se graisser de peinture en public, réduites le plus concrètement à l’état de femmes-objet … pour la gloire du cher Yves. Le lecteur eut aimé savoir, puisque Klein ne balançait à la Seine que la moitié de l’or donné par les acheteurs de ses « zones de sensibilité picturale immatérielle»… ce qu’il fit du reste de l’or et comment, conceptuellement, se justifie ce bénef de 50 % sur l’Absolu.
Le texte sur Beuys montre quelques limites du personnage, dont l’œuvre, enfermée dans un contexte d’affrontement Est/Ouest , a sans doute vieilli plus vite que celles de ses voisins. Mais le lecteur y chercherait en vain le diktat d’interdiction de la Peinture lancé par ce professeur à ses élèves : voilà qui eut éclairé un peu l’ostracisme dénoncé à la fin du magazine et frappant la Peinture. Quant à Warhol, aucun bémol, celui-ci a « une ambition métaphysique », est « congénitalement baudelairien » et son art de « portée critique ». Warhol devient une sorte d’ascète de la mondanité dont l’ œuvre est frappée par une financiarisation excessive : on se demande bien pourquoi , comment ce génie de la com a pu échouer à ce point et être financiarisé malgré lui… N’en déplaise à J-Ph Domecq, le Warholisme n’est pas encore mort, à Télérama du moins …
Bref, ce hors-série montre que des parapluies commencent à s’ouvrir… pour mieux éviter de passer la main à ceux qu’on a fait taire depuis des décennies… Question : le public sera-t-il dupe ou saura-t-il reconnaître les voix authentiques parmi les prises de position opportunistes ? Réponse en 2015…en attendant mieux vaut lire :
Le numéro 19 d’Ecritique, une des rares revues vraiment indépendantes, qui s’interroge sur « Le nu, la faille, la censure », (sur ce dernier point, je signe un texte inédit : « De nouveaux masques pour la censure ») plus d’infos…
La revue Artension se penche sur « L’art à l’heure d’Internet » interrogeant blogs et blogueurs… dont votre Grain de sel favori : plus d’infos
Puisque c’est Noël, pensons aux 2 dernières parutions de François Boespflug : « Le regard du Christ dans l’art » chez Mame-Desclée et, en collaboration avec Françoise Bayle, « Les monothéismes en images » chez Bayard.
Christine Sourgins Historienne de l’Art
Et n’oubliez pas de visiter la Patagonie… en cliquant sur :http://www.musee-imaginaire-patagonie.fr/accueil/
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