Le cinéma est en ébullition : Weinstein, Polanski, Woody Allen etc. y seraient en perdition ; ça tangue à l’Opéra qui balance P. Domingo ; avis de tempête sur le monde littéraire avec G. Matzneff qui coule. Mais le milieu de l’AC croise en eaux tranquilles. Christian Boltanski est en pleine popote et le dit lui-même (1). Pour son exposition à Beaubourg, il accommode les restes de ses expos précédentes : « ici, je fais revenir pour obtenir un nouveau plat… », le tout s’appelle « Faire son temps ». A l’heure des règlements de comptes et des cadavres dans les placards, l’AC n’a toujours rien à se reprocher et pourtant, on va le voir ci-dessous, des liens commencent à être mis à jour.
Qui se souvient de « Présumés innocents », la fameuse exposition du CAPC de Bordeaux consacrée à « l’Art contemporain et l’enfance » en 2000, célèbre pour son contenu « pédopornographique » et un épisode judiciaire à rallonge ? A l’aune des actuelles révélations de sportifs et sportives, sexuellement abusés dans leur enfance, certaines belles consciences, abuseurs patentés de « la liberté d’expression », ont-elles fait leur mea culpa ? Silence assourdissant.
Rappelons que cette jouissive expo comportait nombre de chef d’œuvres, telle la vidéo d’Elke Krystufek avec son utilisation du concombre plus proche du vibromasseur que de la cuisine (la suite mérite un carré blanc). Mais c’est la visite obligée des scolaires qui posa problème : si l’exposition « avait été réservée aux adultes on n’aurait pas porté plainte » précisa l’avocate de La Mouette, l’organisation de protection de l’enfance qui prévint la justice. En 2006, les commissaires de « Présumés innocents », l’ancien directeur des musées de Bordeaux (alors directeur de l’Ecole des beaux-arts de Paris), étaient mis en examen pour « diffusion de message violent, pornographique ou contraire à la dignité, accessible à un mineur ». Mais la cour d’appel en 2010 décida d’un non-lieu. Haro sur La Mouette : l’avocat d’un des accusés salua « une défaite salutaire des ligues de vertu (…) et de ceux qui ont tenté d’imposer leur vision névrotique de la sexualité »sic (2). Une sexualité sans encombre ni concombre était donc alors pathologique !
Les grands arguments furent les pseudo-précédents : attaquer le CAPC, c’était s’en prendre à Flaubert pour outrage aux bonnes mœurs, comme si Gustave écumait les écoles avec Madame Bovary ! Surtout, les exposants de Bordeaux étaient « des artistes contemporains de renommée internationale, exposés dans les musées les plus prestigieux » : donc intouchables. Exactement comme Gabriel Matzneff, encensé, récompensé donc « présumé innocent ». A Bordeaux, autre argument : la plainte n’avait été déposée que sur la seule base du catalogue et de témoignages oraux. Tiens, comme Vanessa Springora qui n’oppose à Matzneff que son témoignage et quelques lettres d’amour ?
Mais voilà que l’adjoint à la Culture de Mme Hidalgo, Christophe Girard, a été entendu par les enquêteurs sur ses liens avec Gabriel Matzeff. Car l’écrivain a bénéficié dans les années 1980 d’un soutien financier de la part de la Maison Yves Saint Laurent et Ch. Girard, qui en était alors secrétaire général, affirme n’avoir fait qu’obéir aux ordres de Pierre Bergé (mort en 2017). Tout ce petit monde a allégrement soutenu l’AC mais pas que : la Haute-couture finançait aussi les frais de l’hôtel de St-Germain-des-Près où Matzneff voyait régulièrement Vanessa Springora âgée de 15 ans. Ch. Girard nie toute proximité avec Matzneff …qui lui a pourtant dédié un ouvrage, et pas n’importe lequel, La Prunelle de mes yeux (3). Dans les années 2000, l’écrivain, selon 20 minutes, revendiquait d’avoir en Ch. Girard un de ses amis « les plus proches »…
Monsieur Girard dit toujours la vérité. Je me souviens d’un débat avec lui sur une radio FM : il me soutenait, les yeux dans les yeux, que l’Art financier n’existait pas, or c’était de l’aplomb pas de l’humour !
Certains prédateurs n’auraient pu agir sans les encouragements tacites ou explicites de toute une intelligensia hors-sol, dévote de la divine transgression, fière d’affubler n’importe quoi du nom « d’Art contemporain » pour aristocratiser la chose (fut-elle un crime) et clore le bec des manants. Quand cet Art « contemporain » va-t-il comprendre que, lui aussi, a fait son temps ?
Christine Sourgins
(1) Le monde, 14 novembre 2019, p.22.
(2) Un article sur cette vieille affaire, cliquer.
(3) Présentation explicite de l’ouvrage : l’héroïne du couple n’a que quatorze ans, et « nos amants ont à leurs trousses une meute de citoyen vertueux, un délateur anonyme de la Brigade des mineurs, ils doivent pour s’aimer braver bien des périls ».