« Art Basel rend justice aux artistes oubliés » (1), « ces douze derniers mois, les gens ont senti que cette spéculation sur les jeunes artistes était dangereuse et préfèrent mettre leur argent sur des noms confirmés ou des artistes morts »(2) mais surtout, la Biennale de Venise reprend goût à la peinture avec, à l’Arsenal, un parcours finissant par Georg Baselitz, tandis que la Roumanie consacrait son pavillon à un peintre, Adrian Ghenie. Ce dernier s’adonne au « paysage par temps de désastre ou à l’heure de la fin du monde le plus souvent » ; « il sait les ressources du brouillage des formes, des gestes qui étirent les couleurs et effacent à demi les figures »(3). Alors, peinture de la fin de la peinture ? Un des tableaux les plus connus de cet artiste s’intitule « les funérailles de Duchamp » (2009) qu’il montre croulant sous la pompe des draperies et couronnes…
Philippe Dagen commentant le nouvel accrochage de Beaubourg note une « nouveauté qui surprend », « l’apologie appuyée de la peinture – et de peintres que l’on attendait pas à découvrir en première ligne. A commencer par Balthus »(4). Le musée d’art moderne de la ville de Paris, lui, consacre une exposition au peintre allemand Markus Lüpertz , ponctuée de déclarations de l’artiste, bien en vue sur les murs : « la peinture fournit le vocabulaire pour rendre visible le monde » ; « sans la peinture le monde est uniquement consommé et n’est pas perçu » ; « le peintre est, en matière de culture, la conscience morale de son époque »… Un bémol, l’aveu d’Alain Seban qui, à sa manière, « rend justice aux artistes oubliés » : « aux Etat-Unis, en Angleterre ou en Allemagne, les expositions sont consacrées aux deux tiers aux artistes nationaux, et pour un tiers aux artistes étrangers. En France, c’est la proportion inverse »(5).
Cependant, un article du Monde s’extasie (6) sur : « L’art retrouvé du geste », nous expliquant que depuis 30 ans le savoir-faire avait été négligé, au point que les mots « geste » ou « technique » étaient devenus des « tabous dans le milieu de l’art conceptuel français» sic . Fini donc le « ni fait ni à faire », tant il y en a « marre des formes creuse et cyniques » re-sic nous promet Roxana Azimi. Vous avez jusqu’au 31 août pour juger si l’expo de la villa Arson, « Bricologie », tient ses promesses sur un sujet qui, il y a 10 ans, « aurait été sacrilège en France » tant la réforme des écoles d’art sous « le primat de l’art conceptuel » avait éliminé toute préoccupation « formaliste ». Retour de refoulé, se demande Le Monde ou « desserrement de l’emprise idéologique de l’art conceptuel » ? Ou encore fatigue « d’un art qui place le sujet social ou politique au premier plan » ? Ne pavoisons pas trop vite : l’Art conceptuel est quand même crédité de ce revirement (il aurait, sans rire, « libéré » le rapport à la technique !). Autre facteur déclenchant, Internet, qui permet à « n’importe qui de faire des images » : urgence donc, pour les artistes, de retrouver des techniques qui les différencient des amateurs. Même Tatiana Trouvé s’y colle « c’est une forme d’indépendance » dit la plasticienne (qui pourtant n’hésita pas à brûler ses propres tableaux ). Ce printemps déjà, le Palais de Tokyo avec l’expo « l’Usage des formes » faisait dialoguer artisans et conceptuels, ce qui n’est pas nouveau : les conceptuels, ayant du mal à réaliser, ont toujours été chercher les artisans… Cependant, à propos d’un artiste greffant des peaux de sanglier sur des pots en grès, Le Monde n’hésite pas à noter la supériorité du conceptuel sur l’artisan suspect d’être routinier, peu aventureux. « Un artisan hérite de ses outils » ; un conceptuel les invente : la réhabilitation de l’homo faber a ses limites. Une enseignante dans une école d’art met d’ailleurs « ses ouailles en garde contre tout excès de technicité ». Méfiance aussi « vis à vis des objets qu’elle produit ». Elle précise qu’il ne s’agit pas « d’objets à contempler ». Bref, cachez-moi cette Beauté que je ne saurais voir ! Après l’Art brut, le Street art, l’AC récupère le discours sur le geste et le savoir faire, histoire de brouiller un peu plus les cartes.
Pas d’emballement donc… car pendant ce temps là, la peinture disparaît. Une oeuvre clef de Mario Prassinos, une des têtes d’affiche de la seconde école de Paris, est frappée d’invisibilité : onze pièces, spécialement conçues et présentées, depuis 1985, à Saint Rémy de Provence dans la Chapelle Notre-Dame de Pitié. Elles constituent la donation Prassinos or, dix années de gestion calamiteuse ont abouti à la fermeture des lieux et à ce que Philippe Rillon n’hésite pas à qualifier de « séquestration » des œuvres dans les réserves du FNAC (Fond national d’art contemporain). De quoi y réfléchir à deux fois avant de léguer quoique ce soit à l’Etat : même Jack Lang s’en est ému dans une lettre en 2013 qui n’a pas obtenu de réponse… Plus d’infos
Christine Sourgins
1 – le Monde du 3 juin 2015, p.10.
2 – Le Monde 21/22 juin, p.15.
3- Le Monde 7/8 juin, p.15
4- Le Monde du 31 mai / 1er juin, p.17
5- Michel Guérin, « l’art et la bannière » Le Monde 15 mai, page 26
6 – Le monde, 13 juin, page 2.