Le n° 185-188 de la revue Ligeia est paru ! Autour du dossier « Où va l’Art contemporain ? ». François Derivery a réuni diverses approches et j’ai commis un grand article (p.171 à 193) : « Art contemporain, de quoi ces mots sont-ils le nom ? Car le premier obstacle à la compréhension de cet art est justement son intitulé, véritable piège sémantique. Il fallait donc démontrer combien cet art dit contemporain n’est pas contemporain (surtout pas au sens chronologique) ni même au sens sociétal : il est, au mieux, l’art d’une toute petite partie de nos contemporains. D’ailleurs est-ce de l’art ? Au sens primaire du mot, celui de « technique », oui certainement : il est un maitre es manipulations (voir un exemple cuisant au prochain paragraphe). Car le nerf de l’AC est une faculté irradiant notre société de marché, vitale pour le mercantilisme, beaucoup moins pour l’Art au sens historique du terme… je vous la laisse découvrir : n’hésitez pas à commander les revues qui gardent ouvert un débat tenu sous cloche (site Ligeia : cliquer)
L’article de Giovanni Lista détaille la Burla, ce « Burlesque » spécificité de l’art italien. Nos Arts incohérents (qui commencent en 1883) sont un rameau de la fameuse « Indisposition des Beaux-Arts » organisée à Milan en 1881 où même les recherches les plus novatrices étaient parodiées (1) : Les italiens ont-ils inventé le premier monochrome noir avant les français (2) ? Possible, cette foire dadaïste avant la lettre essaimant même à Florence où elle prit le nom d’ « Exposition solennelle de la Société de Découragement des Beaux-Arts », avec une section « arti cretine »… Je n’irai cependant pas jusqu’à placer les pitreries actuelles d’un Cattelan dans cette lignée. Au temps des « Incohérents » il y avait une « gravitas », un esprit de sérieux (chez les Pompiers par exemple) qui menaçait les arts. Pas aujourd’hui où c’est justement la blague et l’humour noir qui mènent la danse comme le montre l’exemple carabiné de Claude Lévêque.
Cette star de l’AC est mise en cause début 2021 dans des affaires de pédophilie, même le Monde a titré « Tout le monde savait : Claude Lévêque une omerta au nom de l’art ». Mais auparavant, fin 2020, pour fêter ses 40 ans, Madame Figaro demanda à 25 artistes du monde entier de célébrer chacun une femme remarquable. Parmi eux, Lévêque choisit Catherine Deneuve : ce qui nous vaut une composition nunuche en forme de cœur, un double portrait crayon et pastel, absolument pas ressemblant (3). Un amateur ferait mieux mais l’épine n’est pas là. Les œuvres, dont celles-ci, furent exposées à La Monnaie de Paris et vendues aux enchères par Artcurial au profit d’associations caritatives choisies par les artistes. A votre avis, au profit de qui choisit de vendre notre star de l’AC ? Au profit d’une association qui vient en aide aux enfants d’un orphelinat au Bénin. La Justice confirmera-t-elle cet humour noir manipulant médias, musées, salle des ventes, association caritative etc. ? Comment une telle dérive collective pourrait-elle survenir ? Parce que dans les mentalités forgées par l’AC toute discrimination entre déviance (4) et dissidence a été abolie depuis longtemps…
Au chapitre « canular financier » rangera-t-on sous peu la vente du tableau « le plus cher du monde » ? Un documentaire (France 5, le 13 avril, 20h50) se demande si le « Sauveur du Monde » est bien de la main de Vinci. Les abonnés de ce blog n’en seront pas surpris : cliquez pour lire le Grain de 2017
Pour revenir à Ligeia, vous lirez aussi, entre autres, Sabine Jauffret qui démystifie l’idée d’œuvre engagée chez T. Hirschhorn : ses scènes de carnage décontextualisées sont censées dénoncer la guerre et la lâcheté du public mais elles fonctionnent en violentant le spectateur qu’elles culpabilisent en le forçant au voyeurisme. F. Derivery expose la montée de cet art « transartistique » sur fond de transfert du pouvoir des artistes aux bureaucrates. Mikaël Faujour démonte la pseudo-résistance d’un art qui affiche une diversité de façade : il distingue entre les anywhere (les « n’importe où », ces artistes et commissaires parcourant le monde comme une volée de criquets) et les « somewhere », les floués de la mondialisation, ceux qui restent en plan « quelque part ». Martine Salzmann dissèque la responsabilité historique de P. Restany dans l’assassinat de la Peinture en France et la persistance des thèses d’O Doherty, grand prêtre de la religion du White Cube, cet espace muséal immaculé (p.229 à 235)…
Bonnes lectures !
Christine Sourgins
(1)« soleil levant à l’œuf », un œuf sur le plat en fait, plus loin un cadre vide mais titré : « la peinture n’a rien à cacher ». Quant au « Sac de Rome » , un vrai sac de jute estampillé SPQR (le Sénat et le Peuple Romains), c’était une allusion au saccage des soldats impériaux en 1527, etc. !
(2) Pour les puristes leur « Nuit sombre, sinistre, sans fin, funèbre, avec effet de neige » rate le coche en raison des piqures blanches imitant les flocons.
(3) Tiré à part Madame Figaro et artistes à la une Togeth’HER, novembre 20, p.32 et 33.
(4) M. Faujour rappelle que « la déviance consiste à enfreindre des normes sociales légitimes avec des motivations personnelles » cf Ligeia N° 185-186, p. 209.