Ce n’est pas Dallas mais l‘univers impitoyable de l’Etat culturel commence à y ressembler, au point que des suicides (1) ayant récemment défrayé la chronique, Le Monde (2) a enquêté sur le management toxique en centre d’Art. L’Institut du patrimoine, qui forme nos conservateurs, ne consacre de 9 jours de formation théorique au managent des équipes ; résultats ?
Pour sa défense, un directeur mis en cause argue que « l’art contemporain est un sport de combat »sic : normal qu’au musée de la Chasse et de la Nature (si fier naguère de s’ouvrir à l’art le plus contemporain), on allait bosser « la boule au ventre » et l’inspection du travail fut saisie ! C’est sur signalement de la médecine du travail que Christine Macel (3) fut débarquée du musée des Arts-déco ; fin mars, la Directrice générale partira elle aussi et… le président vient à son tour de claquer la porte ! Donc (suivez bien !) Christine Macel, à l’origine de l’affaire, a laissé son poste de directrice des musées… pour celui de conseillère scientifique et artistique auprès du président maintenant démissionnaire. Elle est virée mais maintenue au sein du musée avec un poste « aux attributions non définies » ! Parait que la centaine de salariés ne comprennent pas le pourquoi d’une telle faveur et la presse, qui est taquine, ironise sur le musée des Arts-déco dont le sigle est MAD soit « fou » en anglais !
Mais derrière cette mise en cause de personnalités-phares de l’AC, pointent d’autres réalités : le musée est « devenu trop dépendant des marques de luxe »… Ailleurs on avance une autre réalité « on nous demande de trouver 70% de ressources propres pour compenser la pénurie d’argent public » : les directions sont alors sous pression et la répercutent à tout le personnel. Mais pour trouver des ressources propres, il faudrait attirer et non pas repousser le public payant : proposer de l’art qui ne cherche pas à l’exaspérer en permanence, autre chose que de l’AC-sport-de-combat ! Et là nos élites se rengorgent : cesser d’insulter, d’indisposer le visiteur et contribuable, de lui faire la morale ? Mais ne serait-ce pas du populisme !?
Sous-traitance ou maltraitance ?
Bien que nié par le ministère, le malaise dans les musées est si général que la grève du 5 décembre dernier a été fort suivie… Car, outre un management problématique, sévit une forme sournoise d’ubérisation où on multiplie stages et recours au service civique : les postes de l’accueil, billetterie, audioguides, surveillance…sont de plus en plus sous-traités. Même certaines animations et conférences peuvent dépendre d’« agences » qui s’immiscent et se rémunèrent. Selon un sociologue, sur 17000 agents des musées en établissement publics, 76% ne sont pas titulaires et 55% ont un contrat de moins d’un an.
Or ces salariés sous-traités gagnent moins, ont des cadences stressantes (moins de pauses, un emploi du temps aléatoire, très fliqué etc.) et dès qu’un salarié précaire réclame un contrat à durée déterminée, il est remercié illico. Pourtant certains de ces (sous)-employés portent le même uniforme que les agents du musée et reçoivent leurs ordres directement du responsable du musée. Autant dire que derrière les contrats d’externalisation est embusqué du salariat déguisé. D’où quatre plaintes (contre le Louvre, le Palais de la Porte Dorée, la Bourse du commerce, le Mucem à Marseille) déposées par des syndicats, pour travail illégal ; des enquêtes de justice sont en cours.
L’imposition au forceps des vitraux de Notre-Dame (4), où l’état ne respecte pas ses propres lois, n’est pas une simple anomalie mais un comportement qui se banalise : le milieu culturel est en pointe dans l’affaissement de la démocratie.
Christine Sourgins
1- Après celui d’un régisseur du Frac Champagne-Ardenne, le suicide d’un ancien conservateur du Moco, centre et école d’art de Montpellier, vient d’être qualifié par la Sécurité sociale d’accident du travail…
2-Voir les excellents articles de R. Azimi et N. Vulser in le Monde, 22 et 23 décembre 2024, p. 24 et 25.
3-La conservatrice Ch. Macel a dirigé le département création contemporaine de Beaubourg pendant 20 ans, été commissaire d’innombrables expos d’Ac et même de la Biennale de Venise en 2017.
4- Une externalisation peut se justifier lorsqu’une administration requière une compétence nouvelle, inédite pour elle, mais au Louvre, par exemple, « les salariés extérieurs sont employés pour la même tâche que celle réalisée par les salariés en interne ».
5- Pour ceux qui veulent signer la pétition contre ces vitraux de la honte cliquer