En ce temps pascal, paraît dans la revue Catholica (1) un article sur un aspect négligé du père de l’Art moderne : « Cézanne chrétien : le début d’une incompréhension »
Saviez-vous que Cézanne était « un tala », autrement dit « allait-à-la messe » et s’abstenait de peindre le dimanche ? Ce qui, parmi les rapins de son temps, n’était pas courant. Les témoignages, sans être abondants, sont suffisants pour l’affirmer avec certitude. Celui qui cherche en peinture une terre promise et se compare au « chef des hébreux », mentionne une méthode peu relevée dans les manuels d’histoire de l’art : « continuez d’étudier sans défaillance. Dieu fera le reste » dit-il à Camoin, ajoutant plus loin : « Mais Nom de Dieu, si je ne croyais pas, je ne pourrais pas peindre ». Il se pense comme l’ermite de la Sainte Victoire, qui est sa montagne sacrée, et la thématique chrétienne (même diffuse) est indéniablement plus présente dans son œuvre que dans celles de ses amis impressionnistes, comme ce petit article le détaille.
Sa correspondance traduit la verdeur du personnage qui signale un « sale abbé Gustave Roux », or l’ « ensoutané Roux »« c’est un poisseux » ! Ce genre de mention vous fait vite passer pour un drôle de paroissien et explique certainement, dans les milieux catholiques, une réticence à évoquer Cézanne chrétien. Le malentendu se corse avec cette savoureuse anecdote : « A Saint-sauveur, à l’ancien maître de chapelle Poncet, a succédé un crétin d’abbé, qui tient les orgues et qui joue faux. De façon que je ne puis plus aller entendre la messe, sa manière de faire sa musique me faisant absolument mal. Je crois que pour être catholique, il faut être privé de tout sentiment de justesse, mais avoir l’œil ouvert sur ses intérêts ». Voilà qui ne manque pas de sel mais ces fortes paroles ont gêné : des chrétiens attiédis ont jugé le peintre mal dégrossi et méprisé ses propos « excessifs ».
Cézanne exagère-t-il ? L’art qui touche au sacré (musique mais aussi peinture) n’est pas une ornementation superflue et futile, mais c’est, au contraire, un véhicule puissant de la vie intérieure. Or plus le sens artistique est grand, plus la dissonance est insupportable et la souffrance augmente : Cézanne est pris d’une sainte colère…comme beaucoup, aujourd’hui, devant un chemin de croix peinturluré ou l’installation dans les sanctuaires de petites blagues conceptuelles très modes. Porter atteinte à l’art, c’est porter atteinte à la foi mais peu de clercs l’ont compris : imbus de théologie et de philosophie, ils planent dans le ciel des idées et s’imaginent pouvoir traiter de tout, puisque qu’ils maîtrisent, indéniablement, ces hautes disciplines. Ils oublient que l’art est incarné et que l’histoire de l’art avance vite, très vite… Concluons par une anecdote vécue, aux Bernardins, le 21 février 2013, lors d’un débat sur la Beauté : un évêque, jusque là enclin à l’accueil d’œuvres fort « contemporaines », eut soudain la révélation des perturbations métaphysiques introduites dans l’art par les suiveurs de Marcel Duchamp. Il en était resté à Cézanne… Un des nombreux peintres chrétiens présents dans l’assistance s’exclama :
– Nous, les peintres, ne sommes pas au fait de la théologie et nous nous gardons bien d’y intervenir. Mais pourquoi des clercs, qui visiblement n’ont pas pris la mesure de la révolution issue de Marcel Duchamp, se mêlent-ils en permanence d’art et d’art très « contemporain » ?
L’incompréhension, née autour de la figure de Cézanne, est loin d’être révolue…
Christine Sourgins
(1) N°131, Printemps 2016, Christine Sourgins, « Cézanne chrétien, le début d’une incompréhension », p. 76-78.