Dans ses relations avec l’Eglise, l’Art contemporain est loin de s’assagir : à la Biennale de Venise 2015, Christoph Büchel a transformé l’église désaffectée de Santa-Maria della Misericordia en mosquée … En novembre, l’artiste Abel Azcona posa nu, de dos, profanant 248 hosties consacrées pour former le mot « Pédérastie » sur le sol d’une salle d’exposition, naguère cédée par le diocèse de Pampelune à la mairie; sous condition que les activités organisées y soient strictement d’ordre culturel, éducatif ou artistique… L’Art contemporain est régulièrement un jeu de dupe où le catholicisme, avec ses deux mille ans d’images à détourner, offre aux conceptuels un terrain de jeu plus fertile que celui des religions méfiantes envers l’art et l’image. Cependant Abel Azcona avait, fait notable, lors d’une autre « performance », mangé un Coran …
Habituellement, c’est de manière plus insidieuse que les sanctuaires chrétiens sont investis, enrôlés dans des opérations commerciales habilement dissimulées en mécénat. Prenez un petit bijou d’église romane du XIème siècle, qui fait accourir des milliers amateurs de par le monde, Anzy le Duc, et parachutez là un peintre flanqué d’un « généreux » mécène et le jeu est reparti. Un peintre me direz-vous, c’est sympathique, avec une peinture colorée en plus ! Bon d’accord, elle vire à l’illustration décorative depuis un moment mais, que voulez-vous, Gérard Fromanger vieillit. En tout cas, rien à voir avec les affaires de Venise ou de Pampelune… sauf que la provoc, ici, cède le pas au parasitisme.
D’abord le « généreux » mécène ne veut pas dire son nom …. ce qui n’annonce pas une opération d’une grande transparence financière. D’autant que Gérard a toujours eu le bras long ( il est soutenu par le groupe Edouard Leclerc, entre autres). Qui dit mécénat dit défiscalisation que les contribuables, in fine, compenseront, du gratuit payant en somme. Or l’Art financier contamine toute la sphère artistique et les stratégies marketing mises au point à Versailles et au Louvre (patrimoine public au service d’intérêts privés) s’exportent en province : les œuvres contemporaines y captent l’aura, l’histoire du monument puis leur cote enfle aux enchères. Gérard n’a fait aucune recherche dans ses projets de vitraux, aucune adaptation au lieu, pas la moindre petite croix, pas une aile d’ange ne frémit, aucune concession à l’Eglise qui d’ailleurs n’a rien demandé : juste des personnages bigarrés qui marchent par groupes, environnés de pastilles colorées. Bref, Gégé nous refile sa marque de fabrique, son schème mille fois répété. Sur la page d’accueil de plusieurs galeristes, des œuvres du même type sont, sans surprise, à vendre. Le destin d’Anzy ? Un showroom permanent. Aujourd’hui, cliquez ; demain, cliquez
Gérard aime peindre les foules : celles qui déambulent dans les rues ou consomment lors des soldes (dans ses tableaux des années 70, c’était, non une allusion à l’ami Leclerc mais une critique sociale), après le troupeau qui partouze (sur 9 m 20 de long, svp), la suite, le voilà qui pérégrine… Et les pastilles colorées se sont émus des paroissiens, inquiets d’une future ambiance plus dancing que priante ? Ce signe iconique, très inspiré des pastilles colorées de Buren au Grand Palais, est volontairement minimaliste, autorisant toutes les interprétations pour mieux rafler les consentements, un principe de l’AC qui a essaimé en peinture. Les pastilles seront donc, au choix, des astres (dixit Gégé, tiens on ne savait pas Rome versé dans l’horoscope) mais elles pourraient être un lancer d’auréoles ou d’hosties avec une décoiffante théologie du confetti ;ou plutôt les très mercantiles points de couleurs qui signalent les œuvres « réservées » ou « vendues »… Comme vous voulez, la seule chose que l’œuvre veut : occuper le terrain et donner une visibilité à l’artiste pour le plus grand profit de ses collectionneurs. Surtout qu’en 2016, une expo Fromanger est prévue à Beaubourg : oh, le joli plan com !
D’où l’attitude du « mécène » (qui pourrait bien être pluriel ) : aider Anzy ? Mais quand les fresques anciennes en capilotade sont signalées par les paroissiens inquiets de leur délabrement, le « mécène » n’en a cure, ce qu’il veut, c’est son Gérard. Or il y a déjà une trentaine de vitraux dans l’église, qui, dans leur sobriété s’harmonisent parfaitement avec ce monument classé : ceux du choeur ont été intégralement restaurés il y a moins de 10 ans, aux frais de l’Etat ; ceux de la nef étant entretenus, seuls trois nécessitent une réparation. Se contenter des 3 de reste ? Que nenni : le mécène veut imposer son Gégé sur TOUS les vitraux !
Le gaspillage des deniers publics intéressera « Contribuables associés » ; les laïcistes se frotteront les mains : accepter un décor qui conviendrait aussi bien à un bistrot ou une salle des pas perdus, c’est favoriser, plus tard, la reprogrammation du sanctuaire en salle polyvalente… Les historiens d’art noteront la constance avec laquelle l’Eglise renonce à encourager une création authentiquement chrétienne pour faire le jeu des puissants. Moralité : « je crains les grecs quand ils font des cadeaux »(1).
Christine Sourgins
(1) « Timeo danaos et dona ferrentes », pour rendre au latin ce qui lui revient…