La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques a failli tuer les bouquinistes parisiens : leurs fameuses boites vertes, fragiles, n’auraient pas supporté le démontage et surtout les mois d’inactivité non indemnisés eurent été fatals. L’Elysée a renoncé : que se cache-t-il au fond de la boite des bouquinistes ?
Se cache la jauge du défilé, revue à la baisse pour raisons de sécurité, donc pas de public sur les quais hauts. Et puis il y a le salaire du promoteur de la cérémonie du siècle, qui a fuité dans la presse (1): être bien payé en organisant la mort économique, sociale, culturelle d’une tradition parisienne posait un problème de justice sociale. D’autant que cette rémunération évoluerait à la hausse de 20%, « en fonction de critères de performance ». Performance, mot commun au sport, à l’économie et à l’art très contemporain, suggère que plus la cérémonie était démesurée plus elle enrichissait ses organisateurs (mais le contribuable ?).
L’iconoclasme vertueux
La plus grosse boîte de Pandore a cependant été ouverte par les « performances » des écolos extrémistes qui jettent de la soupe sur les œuvres des musées : puisque leur cause est bonne, que les œuvres sont protégées par des vitres, les médias les héroïsent. Une intelligentsia refuse de voir combien ces attentats, en banalisant la violence anti art, pousse des émules à la surenchère.
L’artiste russe Andreï Molodkin est donc passé à l’action : lui aussi a une juste cause, celle de Julien Assange, fondateur de Wikileaks, menacé d’extradition vers les États-Unis (ce lanceur d’alerte y risque 175 ans de prison pour divulgation de documents confidentiels, un tribunal londonien doit statuer sur son cas le 5 mars). Molodkin, installé dans les Hautes-Pyrénées, menace 16 œuvres majeures de l’histoire de l’art, placées dans un coffre-fort muni d’un dispositif de destruction, activé en l’absence de preuve de vie d’Assange dont l’état de santé se dégrade : les œuvres de Pablo Picasso, Andy Warhol, Rembrandt ou d’artistes très contemporains (Andres Serrano, Santiago Sierra, Sarah Lucas) se corroderont sous la caméra de Molodkin.
Que des artistes vivants confient une œuvre à détruire par solidarité avec Assange, on pourrait le comprendre mais Picasso ou Rembrandt ? Des collectionneurs.euses (puisque ici des femmes jouent fièrement les Attila) soutiennent le « projet » sic s’estimant en droit de détruire une œuvre d’autrui, sans son consentement, et appartenant, tel Rembrandt, au patrimoine mondial de l’humanité. Croire qu’on a le droit de détruire parce qu’on est possédant, c’est agir comme un prédateur économique, pire suppôt du capitalisme.
En 2001 c’est Daesh qui dynamitait des Bouddhas pour une bonne cause, la sienne : de par le monde, les causes à défendre ne manquent pas, si on accepte d’ouvrir le débat « sur la valeur de l’art en opposition à celle de la vie humaine », comme le souhaite Molodkin et ses complices, on ouvre une boite de Pandore qui va éradiquer l’art sur la planète. Surtout celui du passé dont l’insupportable beauté est régulièrement visée à coup de tomates par de jeunes exalté(e)s.
Coup de bluff ?
S’agit-il d’un coup de bluff ? Possible mais une cause juste peut d’ores et déjà être discréditée par des moyens abjects, barbares. Ce chantage peut faire bouger le droit (2): à quand la déchéance de propriété, frappant les indignes détenteurs d’oeuvres d’art, comme il y a une déchéance de paternité ? Car le titre de propriété d’une œuvre patrimoniale (comme d’un morceau de nature d’ailleurs) ne donne que le droit, et l’honneur, d’en prendre soin et de le transmettre aux générations futures. Il y a une écologie de l’art qui ne doit pas être opposée à l’écologie générale.
Christine Sourgins
(1) Tony Estanguet est visé par une enquête du parquet national financier.
(2) Déjà, selon l’ADAGP (société française de gestion collective des droits d’auteur dans les arts visuels) « le domaine artistique constitue le seul secteur où le droit de propriété est moins fort que le droit d’auteur »