Le bombardement du théâtre puis de l’école d’art de Marioupol, refuges de civils, pointe la barbarie d’une guerre d’Ukraine qui dévaste aussi la culture. Départs et démissions pleuvent : Elena Kovalskaya, directrice du théâtre (d’Etat) de Moscou, refuse de « travailler pour un meurtrier » ; un danseur brésilien quitte le Bolchoï, idem la ballerine russe Olga Smirnova, les tournées du ballet sont annulées en occident ; des chefs-d’orchestre (Pavel Sorokin à Londres) sont écartés, s’agissant d’artistes perçus comme « officiels », ouvertement amis de Poutine, telle la superstar Valery Gergiev (ou la soprano Anna Netrebko renvoyée du Met), c’était à prévoir.
Si à la TV russe, le pianiste Boris Berezovsky appelait à couper l’électricité de Kiev, au Canada, le jeune pianiste A. Malofeev (20 ans) reçut l’injonction de prendre parti pour pouvoir jouer. D’où la double protestation du chef d’orchestre Tugan Sokhiev quittant ses fonctions de directeur musical du Bolchoï à Moscou comme celles à l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. « On me demande de choisir une tradition culturelle plutôt qu’une autre ». Il refuse de choisir entre Tchaïkovski et Debussy : » nous, musiciens, sommes les ambassadeurs de la paix ». Sokhiev s’inscrit dans une lignée d’artistes qui vivent leur art comme un trait d’union entre les peuples, transcendant calculs politiques et égoïsmes nationaux. C’était l’attitude de Cocteau sous l’Occupation : son salut à Breker, sculpteur incontestablement officiel, n’encensait ni Hitler ni Pétain mais (je cite) :« la haute patrie des poètes, patrie où les patries n’existent pas, sauf dans la mesure où chacun y apporte le trésor du travail national »(1). La postérité lui tint rigueur de cette utopie qui ne se réalise que lors de moments de grâce : à l’issue d’une représentation d' »Aida » de Verdi, le 26 février 2022 à Naples, la soprano ukrainienne Liudmyla Monastyrska a pris dans ses bras la mezzo-soprano russe, Ekaterina Gubanova, sous les applaudissements du public.
Pas d’amalgame ?
Si être russe devient une faute et vous exclut du festival de Cannes comme de l’Eurovision, c’est que nos sociétés si individualistes se convertissent à la notion de faute collective comme à celle d’amalgame, pourtant formellement prohibée lors des attentats terroristes, de 2015 à aujourd’hui. Une autre explication transparaît en Italie avec l’ostracisme rétroactif qui « punit » l’un des plus grands écrivains de l’humanité, Dostoïevski : l’université Milanaise supprima quatre enseignements sur ses romans, gratuits et ouverts à tous, avant de reculer devant les indignations ; elle prône alors la parité, enjoignant à l’universitaire italien « d’ajouter des auteurs ukrainiens »(2). A Florence, une statue de Dostoïevski subit une tentative de déboulonnage : on a reconnu les méthodes de la Cancel Culture, la culture de l’annulation qui refuse le débat pour mieux invisibiliser son adversaire. Car pendant la guerre d’Ukraine, l’idéologie « woke » continue : le Ministère de la Femme vient de promouvoir le projet du collectif d’artistes parisiens Obvious pour révolutionner notre symbole républicain. La prochaine Marianne risque d’être participative et « un peu transgenre » sic. Car il suffit de se « sentir » femme pour envoyer sa photo, un algorithme réalisant ce portrait collectif : une Marianne au poil pour la fameuse « start-up nation » de nos gouvernants ? Puisque sont bienvenus les émules de Conchita Wurst, la femme à barbe victorieuse de l’Eurovision en 2014, certaines féministes protestent : la guerre des genres est déclarée (3) ?
Christine Sourgins
(1) Journal Comoedia . 23 mai 1942.
(2)« Malheureusement, je ne connais pas les auteurs ukrainiens», a déploré l’universitaire.
(3) plus d’info sur le site de Marianne cliquer .