C’est une déferlante dans les musées : mettre dehors les mécènes compromettants ! En avril, à la Galerie Serpentine de Londres, que dirige le célèbre Hans-Ultrich Obrist, exit les Sackler, malgré un don de 7 millions de dollars. Motif ? Ces médecins reconvertis dans l’industrie pharmaceutique sont impliqués dans le scandale des opioïdes responsable aux USA d’overdoses mortelles. En mars 2018, c’est Nan Goldin, célèbre photographe et victime de la firme des Sackler, qui organisait non pas un sit-in mais un « die-in » au Metropolitain muséum. Ces institutions et le Guggenheim (malgré cette fois un don de 9 millions de dollars) ont renoncé au mécénat des Sackler ; idem le National portrait Gallery à Londres. La Foire Photo London arrêtait, elle, son partenariat avec une chaîne d’hôtel aux mains du Sultan de Bruneï qui a instauré la peine de mort contre l’homosexualité ou l’adultère ; l’Hôtel Meurice suspendait son prix d’art contemporain dans la foulée. En mars 2018, une association écologiste s’allongeait devant le radeau de la Méduse, au Louvre, pour protester contre le mécénat de Total. De 2014 à 2017 le Palais de Tokyo avait, lui, accepté un mécénat « orienté » pour la prospection des scènes asiatiques… réservée aux seuls pays où cette firme est présente : joli critère artistique !
A l’exemple du greenwashing (recyclage de l’argent sale dans la vertueuse écologie) il y aurait donc de l’art washing dans l’air. Car au Louvre, depuis 10 ans, le budget double mais les subventions publiques stagnent et les gentils mécènes s’empressent ! Comme le cimentier Lafarge, mécène de l’Islam au Louvre et du musée de Cluny, suspecté d’avoir financé, via une filiale, l’Etat islamique. Un collectif « d’art-activistes », Libérons le Louvre, milite depuis 2017 pour que les musées renoncent à ce type de mécénat. Mme Pégard, qui préside Versailles, regrette « qu’on mélange beaucoup de sujets » puis élude la question. On ne saura rien sur la manière dont le Château trie ses mécènes potentiels (notons que ne pas savoir ce que font les agents de l’Etat culturel avec l’argent du contribuable n’est pas nouveau). A l’étranger, la transparence n’est pas non plus de mise : la composition du comité éthique de la National Portrait Gallery, par exemple, semble un secret d’état.
La charte du Louvre et du Quai Branly stipule que le musée se réserve le droit de refuser le mécénat d’entreprise lié au marché de l’art : plus faux-cul, tu meurs car cela signifie qu’en fait, il peut y en avoir ! Le photographe et financier Ahaé dont nous avions conté les mésaventures (1) pourrait couter cher au Louvre et à Versailles qui reçurent ses largesses (et ses œuvres !) : les fonds donnés pourraient être récupérés car frauduleux (2). Et voilà que Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris en charge du logement, tance le Louvre pour son acoquinement avec Airbnb, qui s’offre Mona Lisa sans guère payer d’impôts en France… bref une « utilisation répétée du patrimoine public à des fins commerciales par un géant du numérique ». Sur le point d’être inaugurées au Petit Palais, le 4 octobre, les tulipes de Koons tremblent déjà… car ça balance pas mal à Paris.
Ch. Sourgins
(1) Ch. Sourgins, « Les mirages de l’art contemporain », La Table Ronde, 2018, p. 251
(2) Plus d’infos dans l’excellent article de Roxana Azimi, « L’art embarrassé par ses mécènes », M, le magazine du Monde, 15 juin 2019, p.43 à 45.