Le musée d’Orsay a sollicité d’un artiste new-yorkais la création d’une oeuvre en correspondance avec le célèbre Atelier de Courbet (1). Devant la toile du maître, l’intervention de Tony Oursler est tonitruante. Une grande boîte tridimensionnelle, munie d’une installation bigarrée et sonore, ambitionne de poursuivre le projet de Courbet : évoquer l’entourage et l’univers de l’artiste.
Subtiles sont les correspondances entre les deux oeuvres. Courbet représentait Baudelaire lisant, assis sur une table ; Oursler installe une table et enregistre Constance Dejong, « son Baudelaire » : « Je lui ai demandé de prononcer ses mots préférés : phantom (fantôme), pulverise (pulvériser), bubble (bulle), snooze (éternuer), tittie (nichons).. l’énumération dure dix minutes ». Parmi la quinzaine de tableaux, objets, enregistrements, toutes oeuvres d’amis ou de collaborateurs, un écran montre un enfant jouant avec des ballons ; Courbet avait peint son fils, Oursler présente le sien dans un vidéo familiale, genre « papa filme le petit dernier ». Cette évocation de la filiation est rehaussée par un Larry Miller qui a mis « un copyright sur sa propre séquence ADN et a exposé son attestation comme une oeuvre d’art ». Courbet s’était peint au centre de son Atelier travaillant à un paysage ; Oursler se place devant un écran vidéo et se représente, non point en pantalon rayé, mais…en chambre à air. Imaginez un pneumatique de camion, blanc, où un système vidéo projette les yeux et la bouche de l’artiste qui grimace. « Courbet a choisi de se représenter au travail, détourné du spectateur, le regard dirigé vers l’espace de l’image. Moi, je veux être l’oeuvre, l’espace de l’image qui regarde le spectateur/participant. Aujourd’hui, le simulacre est aussi réel que le reste (…). Mais c’est aussi un « O », qui est l’initiale de mon nom ». Cet anneau symbolise, dit-il, « l’accomplissement de l’oeuvre d’art par celui qui la regarde » et « la nécessité de remplir le vide ». Regarder une chambre à air qui grimace accomplirait l’oeuvre ? Oursler croit être dans l’ordre du symbole ; il en reste à la méthode Coué. Fort de sa conviction (« on peut faire dire ce qu’on veut au langage »), il assène que son anneau est « un symbole phallique déformé », un serpent qui se mord la queue…
La vacuité de ses propos (2), « la nécessité de remplir le vide » dit Oursler lui même, rend déplorable l’absence des commentaires des historiens sur « l’allégorie réelle » qu’a peint Courbet (3). Oursler ne sait plus ce qu’est une allégorie, il la refuse, et cite L. Nochlin qui « attaque la notion d’allégorie en tant que lecture unique et autoritaire d’une oeuvre d’art, quelque chose qui traumatise le spectateur en lui assénant qu’il n’existe qu’une seule interprétation correcte ». Pourtant Courbet était loin d’imposer, dans sa lettre à Champfleury, une interprétation unique, mais Oursler ne sait plus comment fonctionne une oeuvre non duchampienne : « L’Atelier de Courbet est plein de gens connus, mais on sait que ce ne sont pas vraiment en tant que personnes qu’ils y figurent, ce sont des symboles, des projections peintes ». Faux : les personnages de Courbet sont à la fois des gens connus, de chair et d’os, et des symboles. Il faut tenir les deux, c’est cela une « allégorie réelle ».
En réduisant Courbet à un faire valoir, Orsay trahit sa mission qui est de présenter l’Art du XIXème, pas celui du XXIème siècle ; et encore moins, double trahison, l’incompréhension qu’a un artiste d’Art contemporain de l’art de son prédécesseur.
Christine SOURGINS
Article paru dans Les Lettres françaises, en février 2005
(1) Du 26 octobre 2004 au 23 janvier 2005.
(2) Correspondances – Oursler/Courbet, Musée d’Orsay, Hazan, 2004.
(3) Hélène Toussaint, « Le dossier de « l’Atelier » de Courbet », RMN, 1977, non réédité.