Mécénat, hold-up d’Etat ? (extrait du « Grain de sel du mardi » 28 janvier 2014)
Dans le N°144 de la revue Commentaire de cet hiver 2013-14, pages 863 à 866, figure un réquisitoire contre la pratique du mécénat en France. Réquisitoire signé par d’Yves Marek (ancien de l’ENA , artisan de la renaissance de la politique d’exposition du musée du Luxembourg). Dans ce texte intitulé « Le mécénat contre les mécènes » il ne mâche pas ses mots : « Le mécénat français repose sur un malentendu, voire une imposture », dit-il et plus loin « le dispositif français du mécénat est le principal obstacle au mécénat ». Il faut rappeler qu’on attend du mécène « qu’il soit souverain dans ses choix, qu’il ait un goût, qu’il veuille le défendre ». « Toute la beauté politique du mécénat est dans ce libre choix » précise Yves Marek.
Or en France quand on pense mécénat on pense surtout aux versements que les entreprises du CAC 40 font aux institutions culturelles publiques, à savoir Versailles, le Louvre, le Grand Palais, tel ou tel festival… Beaucoup de gens se félicitent alors des lois votées en 2003 à l’instigation de M. Aillagon à ce moment ministre. Bien peu remarquent que ces lois se concentrent sur la fiscalité des sociétés. Economiquement, il s’agit d’une « incitation à la captation de la manne du mécénat des grands groupes pour compléter les budgets publics d’acquisition ». Aux yeux de la loi, le mécénat ne donne lieu à déduction fiscale que s’il bénéficie à une institution publique. « Le dévoiement du principe vertueux est total et se mesure dans tous les détails des dispositions législatives » poursuit Mr Marek.
Les grandes institutions culturelles d’état ont développé des services de recherche de mécénat, où le mécène n’est pas considéré comme un individu éclairé, aux choix souverains, mais seulement commele pourvoyeur d’une recette complémentaire aux financements publics. Autrement dit, le mécénat est toléré, si et seulement si, il complète l’action publique. Donc l’acte désintéressé du donateur (ce qui est la définition du mécénat, en principe) est tout simplement nié. Nous avons donc (c’est moi qui le rajoute) un détournement duchampien du mécénat !
Vous serez qualifié de « mécène » si vous soutenez la Réunion des musées nationaux mais pas le prestataire privé qui gérait les expositions au musée du Luxembourg :Yves Marek s’y connait puisqu’il a travaillé pour les expositions organisées sous la tutelle du sénat. « Pourtant, dit-il, le secteur des expositions est un secteur comme le théâtre fiscalement considéré comme concurrentiel et assujetti à la TVA et où opèrent des entreprises privées. Il n’est pas logique que seules certaines (entreprises) puissent, du seul fait de leur statut public, bénéficier du mécénat en profitant donc d’une distorsion de concurrence. » « Cela est d’autant plus curieux que ces très grandes expositions, à moins d’être très mal gérées, sont structurellement bénéficiaires. » Que vaut un mécénat qui vient toujours au secours de la victoire ? C’est l’honneur du mécène d’essayer de lancer des événements en dehors des sentiers battus.
La nature juridique du bénéficiaire ne devrait pas intervenir, s’il s’agissait réellement d’encourager un vrai mécénat. Or il ne s’agit pour l’administration que « de capter de nouvelles ressources pour le secteur publiques, voire de pérenniser ses dysfonctionnements » écrit Yves Marek. Car si, on l’a vu, le mécénat est conçu comme une subvention privée à un organisme public ceci peut retarder des réformes nécessaires : le mécénat devient un forme d’encouragement à la mauvaise gestion des institutions culturelles publiques !
Aujourd’hui, des dispositifs permettent aux entreprises de déduire sur cinq ans, le prix d’œuvres d’art achetées à des artistes vivants (art.238 bis AB du code général des impôts) mais ceci est plafonné en fonction du chiffre d’affaires à un niveau très bas (cinq pour mille) : ce qui donne un montant dérisoire pour les PME. Conclusion : le législateur (l’état) n’a pensé qu’aux très grands groupes, aux grandes entités entrepreneuriales « sans âme », plutôt qu’aux particuliers qui fournissent normalement les bataillons de mécènes dans les autres pays. Ailleurs, le mécénat n’a pas été autant détourné que par le ministère de la culture français.
C’est pourquoi le ministère a couvé l’association Admical qui regroupe de gros mécènes et lorsque l’Etat se mêle de délivrer des prix du mécénat « il s’agit d’une sorte de hold-up sur la générosité privée pour bien s’assurer qu’elle reste dans le giron de l’Etat ». Un mécénat aux ordres en somme. L’Etat cherche par tous les moyens à se prémunir « du caprice de mécènes risquant d’avoir un goût non autorisé », il s’agit d’empêcher la manne privée de se porter au secours de projets culturels non officiels. Bref, la cléricature culturelle d’état tient à garder son « monopole de prescription » et à reléguer le mécène dans le strict rôle de contribuable. Qui y trouve fiscalement un intérêt : Yves Marek note au passage le caractère absurdement comique de voir l’Etat payer des fonctionnaires pour inciter à utiliser des mécanismes d’évasion fiscale…
Le patron d’un grand groupe en faisant du mécénat fait de l’optimisation fiscale. Il dispose alors de l’image flatteuse du mécène grâce à un argent qui n’est pas le sien, se voit souvent récompensé par une légion d’honneur des mains du ministre : ce pseudo mécène a, de fait, totalement renoncé à son « pouvoir magnifique et autrement valorisant » d’imposer ses goûts, de défier les institutions, « d’ouvrir un espace de liberté ». Conclusion, il n’y a guère de vrais mécènes en France ; ceux qui le voudraient sont découragés de l’être car l’Etat n’a besoin que de pourvoyeurs. Il faudra donc rebaptiser ceux qui, dans les expositions de prestige se targuent du beau titre de mécènes : ce ne sont que de riches mais très vulgaires pourvoyeurs de l’Etat culturel ; le plus grave est que ces pourvoyeurs sont aussi, et pour cette raison même, les fossoyeurs d’une culture vivante. Le mécénat c’est le sang de la création… que seraient Vinci ou Michel Ange sans mécénat ? Si vous corrompez le mécénat vous corrompez la création. CQFD
Christine Sourgins