Lors d’une interview pour Radio Télévision Luxembourg, le 13 septembre, Enrico Lunghi le directeur du Mudam (musée d’art moderne Grand-Duc Jean), s’énerva des questions de Sophie Schram, saisissant le micro et le bras de la journaliste et menaçant : »Si tu diffuses ça, je ne te parle plus ». Ce curateur de nombreuses manifestations d’AC au Luxembourg et dans le monde, avait défrayé la chronique en 2009 : l’exposition qu’il préparait ( 100 Sexes d’artistes de l’artiste belge Jacques Charlier) fut refusée par la biennale de Venise. La jeune journaliste malmenée porta plainte pour coups et blessures et obtint deux jours d’arrêt de travail. Plainte retirée après qu’Enrico Lunghi se fut excusé. L’altercation a été filmé (même si la conversation n’est pas en français, les images et le ton sont instructifs) : http://5minutes.rtl.lu/laune/actu/962554.html
Les soutiens d’Enrico Lunghi donnèrent de la voix : des membres de l’association des critiques d’art du Luxembourg (AICA), Wim Delvoye l’artiste flamand d’AC, gratifié d’une grande exposition monographique à l’occasion des dix ans du Mudam… etc. si bien que l’origine de l’affaire passa au second plan. Car la question malencontreuse qui provoqua l’énervement d’Enrico Lunghi portait sur une artiste luxembourgeoise, Doris Drescher, qui se trouvait occultée par les « officiels » de la scène artistique. L’émission télé « Nol op de Kapp », qui diffusa l’altercation, s’était penchée sur le « cas d’artistes qui se sentaient injustement traités par les responsables officiels ». Plusieurs avaient en effet contacté RTL pour critiquer le choix des artistes lors des expositions officielles, « tout en souhaitant rester anonymes par crainte de conséquences professionnelles ». Dans ce reportage, Doris Drescher, peintre et photographe, avait osé confier ouvertement que, depuis qu’Enrico Lunghi occupait son poste, elle était de plus en plus exclue de la scène artistique.
Certes on peut épiloguer sur bien des points, sur le travail de Doris Drescher, sur le fait que la journaliste porte plainte 10 jours après etc. Il n’en demeure pas moins que l’affaire est révélatrice de la morgue des hommes du sérail à l’encontre de qui n’en fait pas partie. Certains artistes, bien pacifiques au fond de leur atelier, n’imaginent pas l’exaspération que leur simple prétention à exister suscite chez les tenants du système ; beaucoup de ces peintres ou sculpteurs étant « vivants », ils se croient naïvement qualifiés pour être « contemporains », aptes à exposer dans les lieux de prestige…alors que le terme « contemporain » est un label et une chasse gardée. Les artistes hors réseaux ont rarement la possibilité de visualiser, comme cette vidéo le leur offre, les forces d’exclusion gentiment à l’œuvre.
Enrico Lunghi ne faisait pas l’unanimité en raison « d’une orientation trop contemporaine » ; le conseil d’administration réuni en séance exceptionnelle lui confirma sa confiance mais il a fini par démissionner…
Christine Sourgins