Le Grand Palais est de plus en plus monopolisé par l’industrie du luxe et des événements médiatiques pour financer les dépenses pharaoniques de la restauration du bâtiment. Les salons, occupants historiques, ne sont pas riches et mis peu à peu sur la touche. Sans concertation, Art Capital a été évincé de la grille 2016 et reprogrammé février 2017. Officiellement on est passé d’une année civile à une année scolaire… les salons perdent au change : en février les parisiens sont en vacances. Anticipant ces avanies, le Salon d’Automne a depuis longtemps pris son indépendance et nomadisé hors du Grand Palais. Il campe maintenant sur les Champs Élysées offrant la découverte d’un millier d’œuvres, en peinture, sculpture, gravure, architecture, dessin, art environnemental, art digital, livre d’artiste, vidéo… sans hiérarchie entre les disciplines artistiques et ce dès l’origine (1). Il a eu la bonne idée de devenir gratuit passant ainsi de 20 000 à plus de 30 000 visiteurs, des familles en particulier : c’est un salon pluridisciplinaire, grand public, mais la presse n’a d’yeux que pour une Fiac qui demande 35 euros pour mieux réserver ses stands aux happy few, le simple promeneur y étant un gêneur…
La mairie de Paris bénéficie donc d’une manifestation culturelle qui est un monument historique (5 générations d’artistes s’y sont succédées) mais elle rechigne à tout aide financière ou même logistique. Le fonctionnaire de la mairie se justifie d’un martial « on n’aide pas les salons marchands ».
– Oups ! Mais le Salon d’Automne est une association à but non lucratif, née en 1903, et reconnue d’utilité publique !
– Heu oui.. peut-être… mais on n’aime pas les salons qui demandent de l’argent aux artistes !
Appréciez la perversité du raisonnement : pour ne pas demander d’aide il faudrait déjà être un salon grassement subventionné ce qui n’est pas le cas ; donc pour continuer d’exister, le salon doit mettre à contribution ses exposants ! Allez faire comprendre à un fonctionnaire borné que le Salon n’est pas distinct de ses exposants… Reste à noter que le ministère, plus lucide, subventionne quand même à hauteur de 16 % le fonctionnement mais les 84 % restants sont pris en charge par les artistes.
Le Salon d’Automne a deux permanents seulement et 28 bénévoles qui travaillent d’arrache-pied gratuitement pendant un an. Quand le salon a lieu, ils sont 50 à le mettre en place : soit mille œuvres à placer, accrocher, étiquettes comprises, en 24 heures. Tout cela est possible grâce ses 19 sections (peinture, architecture, gravure, photo,…) orchestrées chacune par un chef de section et qui se répartissent les artistes en amont, au moment du jury. Ces sections permettent aussi au visiteur de ne pas être perdu dans une présentation en pâté d’alouette : une sculpture, un dessin, une vidéo et un raton laveur… Les chefs de section doivent placer les uns sans que cela nuise aux autres, bref gérer les égos. Même si l’adage « il n’y a pas de mauvaise place, que de mauvais artistes » remet les pendules à l’art… en ces temps de narcissisme, ce n’est pas un mince exploit ! Or la convivialité entre artistes est vitale pour des professionnels ne bénéficiant pas des réseaux officiels. La programmation culturelle du Salon est assurée par des intervenants venus généreusement donner des conférences, des lectures, animer des débats, des concerts, des pièces de théâtre etc. par pure amitié.
Mais ceux qui remontent leurs manches, se cotisent pour exposer, sont regardés avec mépris par les bureaucrates culturels : l’artiste véritable, pour eux, se laisse chouchouter, engraisser par le système ; l’artiste indépendant leur inspire de la méfiance. Voilà qui est symptomatique d’un système d’art officiel, indifférent, voire hostile, à tout ce qui n’émane pas de lui. Le Salon aimerait au moins une aide pour sa « com ». Il n’obtiendra que les panneaux d’annonce lumineux … mais toutes les associations parisiennes y ont droit. On appréciera avec un zeste de cynisme l’éditorial de l’administrateur parisien qui se contente d’écrire, dans le catalogue… qu’il aide le salon. Ah, ces politiciens, pour qui dire c’est faire !
Ceux qui ne donnent pas de visibilité au Salon ne comprennent pas toute la visibilité qu’eux-mêmes pourraient en retirer : 384 étrangers sur les 870 sélectionnés et 44 nations. Chinois, russes, japonais…tous se bousculent dans les tentes des Champs Élysées mais la mondialisation des arts de la main n’a pas droit de cité sous les lambris de la République ! Le Salon a logiquement envoyé des invitations aux ambassades des nations présentes, or pour nos cultureux les étrangers sont des gens bizarres puisqu’ils sont courtois et cultivés. 20 délégations diplomatiques étrangères sont donc venues sur place, heureuses de découvrir œuvres et artistes mais stupéfaites de ne pas voir les autorités françaises qui brillaient par leur absence ! Et l’ambassadeur biélorusse de demander dans un français parfait « Quand pourrons-nous voir Madame le Ministre ? » et l’ambassadeur itinérant du Sénégal (puisque l’Afrique était à l’honneur au Salon cette année) « Quand pourrons-nous voir Madame la Maire ?». La honte : obliger d’expliquer que ces dames n’ont pas daigné traverser la Seine pour venir à leur rencontre ! Finalement la présence des délégations étrangères (et leur étonnement) s’ébruitèrent en haut-lieu : est alors dépêché en catastrophe un malheureux… qui se retrouve emporté par la foule comme le Milord d’Edith Piaf, tant l’assistance était nombreuse (2). Surprise du brave homme : « nous ne savions pas qu’un salon déplaçait tant de monde ! ». Ils ne savent pas grand-chose de leurs administrés ces gens qui n’aiment pas les artistes-qui-se-prennent-en-main puisqu’ils ne vivent que dans le monde des artistes dociles car subventionnés !
Ils sont drôles ces politiques et fonctionnaires, toujours prêts à paraître là où on ne les attend pas … mais absent des lieux où il faudrait en être. Les artistes qu’ils ignorent sont pourtant aussi des électeurs. Madame la Ministre, Madame la Maire vous pouviez rencontrer facilement au vernissage 7000 électeurs qui ne demandaient pas mieux, c’est ballot que vous soyez occupées ailleurs ! Cette élite complètement coupée des réalités culturelles du pays qu’elle entend gouverner a bien amusé les délégations étrangères. Mais a-t-on encore le droit de le dire sans être traitée de « populiste » ou « déclinologue » ?
Christine Sourgins
(1) Pas de médaille, ni de prix au SA, seuls les partenaires en décernent s’ils le souhaitent ( Taylor, ADAGP, Artcité…)
(2) Les puristes savent que « La foule » et « Milord » sont deux chansons différentes mais l’image est si juste !