Le neurologue Pierre Lemarquis a publié « L’empathie esthétique, entre Mozart et Michel-Ange » aux éditions Odile Jacob, livre qui démontre que l’art devrait être remboursé par la Sécu. En effet, la Beauté d’une œuvre provoque la sécrétion de neuro-transmetteurs du bien-être, un vrai cocktail de vitalité : la dopamine, ce stimulant du désir, les endomorphines qui apaisent la douleur, l’adrénaline qui renforce l’énergie mais aussi la sérotonine, à l’action anxiolytique. Bref, la Beauté de l’art serait un antidépresseur sans effets secondaires ravageurs… L’Art pourrait non seulement nous conduire à l’extase, mais certains spectacles effrayants pourraient s’avérer bénéfiques, grâce aux vertus cathartiques de la représentation, ce qu’Aristote notait déjà à propos du théâtre.
Mais la science du neurologue s’arrête là, n’ayant pas encore intégré, qu’aujourd’hui, tout ce qui porte le nom d’art peut revêtir des natures différentes voire antagonistes. Si voir une re-présentation, une nouvelle monstration du réel, fictionnelle, peut avoir un effet cathartique, il n’en est pas de même d’un certain art dit contemporain qui, au prétexte que « l’art c’est la vie », abolit la re-présentation au profit d’une simple présentation, voire d’une prédation du réel. De l’hémoglobine d’Opéra et du sang réellement versé lors d’une « performance » n’ont pas le même sens et ne déclenchent pas les mêmes réactions.
De même, on peut être sceptique de voir notre homme de science vanter les mérites du Ballon Flower de Jeff Koons, dont les formes arrondies nous renverraient vers l’enfance : si toute grande œuvre a une relation avec l’enfance, lieu d’émotions et sentiments des plus forts, on peut rêver pour l’art d’un autre destin que la régression infantile. Il serait bon de dire que si la Beauté nous offre plein de neuro-transmetteurs, la réciproque n’est pas vraie : la présence d’adrénaline ou de dopamine peut signifier la présence de tout autre chose. Tout ce qui modifie notre humeur, nous détend et nous met en appétit de vivre n’est pas forcément Beau. Pour certains, le commérage ou la calomnie ont des effets revigorants, exaltants : où est le Beau ? Pour d’autres, lire dans un magazine people les misères des « stars » est hautement jouissif ; un accident de voiture en extasie un troisième, d’où les voyeurs qui s’amassent avec gourmandise au bord des routes. Pour le dire plus simplement : si la Beauté, incontestablement, nous émeut, tout ce qui nous émeut n’est pas forcément Beau.
Il n’en reste pas moins que l’amateur d’art jugera instructif d’apprendre que notre cerveau découvrant une œuvre d’art met 2 secondes pour la rejeter et quatre pour s’y intéresser, que celui qui goûte un tableau abstrait s’y projette d’une manière identique à celui qui savoure une œuvre figurative. En cause nos neurones miroirs, connectées au cerveau dionysien, celui des émotions. L’émotion esthétique, que développe ce cerveau dionysien, est différente du jugement esthétique, qui, lui, siège dans l’autre partie du cerveau, l’apollinien, dédié à l’intellect et à la culture pour reprend les catégories Nietzschéennes, alors que d’autres préfèrent évoquer « cerveau droit/ cerveau gauche », pour faire court. Conclusion : le neurologue ne s’étonne pas qu’on puisse ne pas aimer des œuvres que l’on trouve belles …ni aimer certaines que l’on juge peu réussies mais qui résonnent en nous émotionnellement.
Il voit bien l’intérêt des régimes totalitaires du XXème siècle à confisquer cette bouffée d’oxygène offerte à la population. Mais justement, une approche plus fine de l’histoire de l’art aurait pu conduire notre scientifique à s’interroger sur la situation présente. A savoir, la relégation de certains arts de la représentation (comme la Peinture) au profit des détournements, performances et autres installations prédatrices du réel. De même, dans la Peinture officiellement tolérée, l’importance d’un courant conceptuel anesthésié et anesthésiant qui contrebalance son exact contraire : une picturalité qui, elle, joue complaisamment sur le registre « affreux, sale et méchant » dont se goinfre notre ego dionysiaque…
Christine Sourgins