L’Etat « dépose », met à disposition des musées, ambassades, mairies et diverses administrations, plus de 430 000 pièces de ses collections. Or le rapport de la Commission de récolement des œuvres d’art de l’Etat (CRDOA), montre que le suivi du patrimoine est catastrophique. Les objets disparaissent sans que l’Etat ne s’en aperçoive avant des années. Si la base de données en ligne de cette commission recherche 23 000 œuvres, 1 346 plaintes seulement ont été déposées pour vol ou disparition. Pour les autres, l’Etat, si inquisiteur pour taxer le patrimoine des particuliers, ne sait pas où nos trésors sont passés. Cliquez et vous pourrez connaître l’état des pertes dans votre département, grâce à l’enquête de Libération (après Paris, le département du Bas-Rhin (67) est bon second).
Certaines institutions ont double casquette : dépositaires, elles sont également déposantes, mettant à disposition de leurs établissements sous tutelle ces mêmes œuvres. A ce jeu, les ministères concentrent la majeure partie des pertes (ou vols) : près d’un tiers des plaintes déposées les concerne. Et les disparitions ne portent pas seulement sur des objets de petite taille. En 2006, cinq tapisseries de 2 sur 6 mètres se sont volatilisées à l’ambassade de France en Guinée. Les ambassades, censées assurer le rayonnement français, sèment à tous vents : 123 plaintes déposées. Mais une annexe du château de Versailles a vu aussi s’envoler un meuble en acajou de Jacob-Desmalter. Une lignée d’ébéniste très recherchée car à l’Assemblée, c’est une bergère fabriquée par le père du précédent qui s’esbigne, malgré une stricte procédure de contrôle pour les visiteurs ( relevé d’identité, motif de visite, remise d’un badge…). L’art contemporain n’est pas en reste : le Centre national des arts plastiques (CNAP) qui dépend du ministère de la Culture et gère 95 000 œuvres du Fonds national d’art contemporain… est cité dans le rapport…
L’administration publique est à la peine ne serait-ce que pour obtenir des réponses. Fin 2014, 40 % des préfectures n’avaient pas répondu au ministère de l’intérieur. L’Outre-Mer n’avait pas localisé plus de 80% des œuvres en dépôt… Tableaux, meubles et sculptures qui ornent les lieux de pouvoir sont rarement retrouvés … seulement 251 objets de retour depuis l’existence de la base de données.
Jacques Sallois, président de la CRDOA, a beau rappeler les difficultés liées à l’absence de procédure au XIXe siècle, où l’on déposait certes sans inventaire, on s’interroge : quoi, depuis Napoléon III, notre brillante administration, et nos chers énarques que le monde entier nous envie, n’ont rien réformé ?
En 2012, l’ex-préfète de Lozère avait été condamnée à trois ans de prison, dont un an ferme et 40.000 euros d’amende pour vols et détournements de biens publics avec interdiction définitive d’exercer une fonction publique. Février 2016, le sous-préfet de Normandie, mis en examen, a été placé en détention provisoire, soupçonné de vol, notamment d’un tableau de grande valeur retrouvé chez Sotheby’s. Les œuvres perdues par l’Etat ne le sont certainement pas pour tout le monde !
Christine Sourgins