Ceccotti est un peintre d’intrigues, d’énigmes quotidiennes dans un cadre urbain : une rue de Paris, un intérieur d’appartement, de bureau, une chambre d’hôtel. Quelques personnages viennent roder sur la toile mais ce qui impressionne d’abord c’est le théâtre des lieux. Des dispositifs panoramiques se réfèrent au théâtre, ou bien au balayage d’une caméra : à droite, derrière une baie vitrée, la ville, devant nous un salon se déploie en profondeur, à gauche une enfilade révèle des silhouettes. Mais que se passe-t-il ? Pourquoi cette part de gros gâteau crémeux au premier plan ? Arsenic ou Cholestérol ? On songe à la manière dont Hitchcock mettait en valeur un verre de lait dans certains films. Et ce revolver qui traîne ? Ceccotti aime ces allusions au monde policier. Dans ses toiles, c’est sûr quelque chose a ou va avoir lieu, mais comme le peintre évite l’anecdote descriptive, c’est au spectateur de se transformer en détective, de reconstituer le scénario…
Voici un nocturne : au premier plan la pluie frappe les carreaux et le fenestron télévisuel diffuse « Les portes de la nuit » ; au mur une gravure du déluge biblique ; au fond de la pièce on butte sur la cage vitrée d’une douche semblable à celle de « Psychose » : cherchez la mise en abîme. Parfois celle-ci est si vertigineuse qu’un personnage se raccroche à la corniche de l’immeuble… Ceccotti, pratique le jeu du tableau dans le tableau, ici un Braque, là un Buffet… sa peinture parle aussi de la Peinture : il partage le goût de la nuit, des trains et des femmes nues avec Delvaux, des lieux esseulés avec Hopper, d’une inquiétante étrangeté avec De Chirico… A cela s’ajoutent des jeux plastiques où la sphère d’un luminaire répond au carré d’une fenêtre, l’intérieur s’oppose à l’extérieur, le vert acide au bleu saphir … Ceccotti donne des indices qui nous mènent en tableau : il peint un livre qui révèle un écrivain dénommé Ceccotti, dont le roman s’appelle la robe rouge, qui est aussi le titre et le sujet du tableau. C’est dire l’ironie des choses.
Les objets vedettes sont ceux qui délivrent un message : télévision, téléphone, portable, journal, courrier, livres…Tous signifient une société obsédée de communication, où, plus on communique, moins on communie ; aussi les personnages semblent en manque ou en attente. Et si les références cultivées ou les rébus visuels, étaient une manière de restaurer une communion perdue, au monde, à la société, à nous mêmes… ?
Alors pourquoi ce parfum années 60 qui fleure bon dans les toiles ? Celle du métro est très significative avec son ambiance rétro alors qu’une voyageuse lit le numéro récent d’un quotidien célèbre. Le costumes des années 60 évoque un univers de romans ou de films policiers chers au peintre, mais ces silhouettes dont les formes s’arrondissent et se colorent après l’austérité de l’après-guerre, gardent encore une certaine sobriété avant l’amollissement des années 70, entre perruques et pattes d’eph’. Les années 60, où confort se marrie avec simplicité, paraissent plus à même de traduire la dignité du quotidien, le mystère qui réside dans la banalité. Ce décalage vestimentaire donne à l’œuvre de Ceccotti un soupçon de hiératisme, d’une mise à distance de la réalité, grâce à laquelle on peut regarder en face les apparences trompeuses : dans un salon au design inactuel règne une ambiance de farniente, qui vacille quand on aperçoit un magazine avec, en couverture, un terroriste du XXIème siècle…
Christine Sourgins
Article paru dans les « lettres françaises », le 4 novembre 2006, p.IX.
http://www.sergioceccotti.com