Lors de la dernière FIAC, sur le stand de la galerie Eva Presenhuber de Zurich, Jean-François Roudillon, directeur de la Galerie LOFT et en charge du catalogue raisonné de l’artiste Francesco Marino Di Teana , eut la surprise de découvrir une copie en plastique d’une œuvre originale de Di Teana, L’Aube. Dans une lettre ouverte, et une vidéo, il dénonce « du plagiat et du vol à l’état pur ». L’italo-argentin Di Teana (1920-2012) a réalisé en France et en Europe, plus de 50 commandes publiques dont, à Fontenay sous-bois, « Liberté », à ce jour la plus haute sculpture d’Europe. Informée de cette contrefaçon, la galeriste Eva Presenhuber, aurait répondu :
– « Marino di Teana ? mais c’est pas grave, il est mort… »
Le suisse Valentin Carron est né en 1977, l’année où Di Teana concevait l’Aube, en acier corten, œuvre aujourd’hui exposée à Neuchâtel. Carron a réalisé un moulage de celle-ci, en s’appropriant forme, dimensions, titre (The dawn est la traduction anglaise de « L’aube »). A la FIAC, The Dawn fut proposée à la vente (≈ 55 000€ ) comme une œuvre originale, sans référence aucune à l’artiste copié : l’héritier de Di Teana a déposé plainte.
Valentin Carron nie avoir produit un faux. Car ce Valaisan, qui a représenté la Suisse à la Biennale de Venise l’an dernier, pratique « l’appropriation ». L’appropriation serait une forme d’hommage, une preuve de reconnaissance et même une sorte de préservation de l’œuvre appropriée. La défense du plagiat s’organise, des personnalités romandes du monde de l’art visuel interviennent. Pour Christian Bernard, directeur du Musée d’art moderne et contemporain de Genève (Mamco), Valentin Carron a « cité » Francesco Marino di Teana « au même titre que Mozart a repris certains passages musicaux d’autres compositeurs ».
Notons que ce Mozart de la contrefaçon n’a pas hésité à « citer » une sculpture de Giacometti …en lui collant un bras d’honneur ! Si on prend cet ajout ridicule pour une forme d’originalité, dans ce cas, où est l’hommage et la préservation de l’œuvre initiale ? Pierre Keller, ex-directeur de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL), défend son ancien élève: « il a été influencé par son professeur de l’ECAL John Armleder qui s’approprie également des pièces (…) La particularité de la sculpture de Valentin Carron se trouve dans le matériau : il joue sur l’utilisation de la résine pour pervertir (c’est moi qui souligne) l’oeuvre de di Teana. Tout est dans le matériau ».
En fait, tout est dans le matériau et dans l’ignorance du spectateur qui, non averti de la manœuvre, va attribuer à Carron, l’intégralité de l’œuvre ! Chacun peut-il reproduire une œuvre et se justifier par de l’appropriation ? « Allez-y si vous croyez que c’est si facile! » répond Pierre Keller. En effet, pour tenter d’imposer une contrefaçon il faut un puissant réseau. Or l’artiste plagié, Di Teana, fut représenté pendant plus de 20 ans par la Galerie Denise René. Comme par hasard, si je ne m’abuse, la galerie Denise René n’était pas de la Fiac, cette année. Voilà qui éclaire d’un jour nouveau la remarque de Ben dans sa lettre d’info à propos de la Fiac : Jennifer Flay , qui dirige la Fiac, éliminerait au profit des Anglo-Saxons, certaines galeries françaises en particulier celles de province…
Le « deux poids deux mesures » en matière de contrefaçon, est illustré par l’affaire des 20 points de vente français du parfumeur espagnol, Equivalenza, perquisitionnés le 4 novembre dernier par la brigade Délinquance Economique & Financière. L’enseigne est soupçonnée de contrefaçon via un « tableau de concordance » proposant un équivalent à petit prix d’un parfum de grande marque. Devant le préjudice potentiel les autorités ne lésinent pas : stocks embarqués, boutiques fermées, menace de gardes à vue et du code de la propriété intellectuelle ( jusqu’à 4 ans de prison et 400 000 euros d’amende (article L716-9)). Un sculpteur plagié ne déclenche pas la même diligence. Equivalenza ne pourrait-elle pas rétorquer, à son tour, que le matériau, le mélange odorant, n’est pas exactement le même … et invoquer sa liberté de création, puisque la parfumerie, comme tout aujourd’hui, est un art ?
Ces artistes « d’appropriation » avouent ouvertement qu’ils font, sous couvert d’activités artistiques, l’éloge et la justification de la prédation comme comportement existentiel. Autrement dit, ils sont l’incarnation « culturelle » du mercantilisme carnassier qui dévaste la planète au nom du plus fort, du plus friqué, du plus réseauté. Et ceux qui les collectionnent s’affichent comme dupes ou complices de ce système. La justice saura-t-elle rétablir un peu d’équité ? A quand la brigade Délinquance Economique & Financière perquisitionnant la Fiac ?
Christine Sourgins