Mardi 17 décembre 2012
Louvre Lens un cadeau empoisonné ?
Paris est favorisé en musées, la faute, non aux Parisiens mais à l’histoire ; la Capitale est aussi plus centrale que Lens, cette fois c‘est la géographie qu‘il faudrait incriminer : pour les « Sudistes » venir voir des œuvres majeures du Louvre dans le Pas de Calais, va s’avérer beaucoup plus compliqué et onéreux. La moitié de la France est pénalisée de fait. Il y a pire : certes le bassin minier a beaucoup souffert mais est-il le désert culturel qu‘on nous serine ? Deux des plus riches musées de France, Lille et Arras, sont respectivement à une demi-heure et un quart d’heure de train. Plutôt que de créer un nouveau musée, n’aurait-il pas mieux fallu aider ceux déjà existants ? Louvre-Lens a dérapé sur le plan financier avec 50% d’augmentation soit un coût de 150 millions qui explique que les autres musées du Nord-Pas-de-Calais voient leurs budgets diminuer… Et depuis quand « déshabiller Paul pour habiller Pierre » s’appelle décentralisation ?
Si la construction de cette antenne de province se justifie pour des raisons d’équité ou de compensation de pertes d‘activités, combien de villes méritantes et déshéritées ont-elles droit elles aussi à leur antenne ? Vider le Louvre parisien n’y suffirait pas, sauf à le mettre sur roulettes pour un grand tour de France : à quand la caravane du Louvre ?
Le résultat ? Extérieurement pas de grand geste architectural, l’agence japonaise Sanaa, a privilégié une structure basse, dont la discrétion laisse dubitatif : est-ce un musée ou une aérogare ? La volonté de nier la notion de « Palais » accolée au (vrai) Louvre, est claire : il faut montrer qu’on démocratise la culture et donc priver le peuple de Palais (démocratiser voulant dire : ne pas lui donner des idées de grandeur ). En revanche, à l’intérieur, tout le monde reconnaît une belle lumière, une qualité de visibilité des œuvres indéniable. L’immensité des lieux est spectaculaire, c’est vrai, mais »La Liberté guidant le peuple » de Delacroix, fleuron de la présentation, « flotte » dans cette Kunst-hall démesurée : « je la voyais plus grande » commentent certains visiteurs.
Le gros du spectacle est donc la Galerie du Temps qui présente de manière chronologique et transversale, des d’œuvres du 4ème millénaire avant Jésus-Christ au 19ème siècle. En fait ces œuvres n’ont d’autre lien que d’être des chefs-d’oeuvre du Louvre et d’avoir appartenu à la même époque. Mais tel peintre florentin connaissait-il l’œuvre du céramiste musulman exposée quelques pas plus loin ? Le lien entre deux œuvres d’une même époque n’est pas toujours évident et, faute d‘explication, le visiteur peut penser que deux œuvre de la Renaissance sont influencées l’une par l’autre, alors que toute deux ne font que se référer à l’Antique.
Voilà posé le problème de la contemporanéité : si on est toujours contemporain de ce que l’on regarde, deux artistes vivants au même moment peuvent fort bien ne partager aucune communauté de pensée. Le Louvre-Lens fait donc, involontairement, une démonstration de la relativité de cette notion pourtant si hégémonique et si politiquement-correct qu’est « le contemporain ».
L’amateur qui fréquente déjà ces chef d’œuvres appréciera une sensation de proximité nouvelle. Un peu comme lorsqu’on croise en villégiature des voisins trop connus, Mr Bertin (portraituré par Ingres) par exemple, que l’on redécouvre alors sous un autre jour ; cependant ces voisins là sont des exilés forcés supportant des transports dangereux. Les œuvres sont fragiles, ainsi des experts, dont M. Pomarède conservateur en chef des peintures au Louvre, se sont alarmés en vain de l’état du tableau de Delacroix : visiblement les politiques (1)n’en n’ont cure et ont décidé de brandir « La Liberté guidant le peuple » jusqu’à ce que la toile s’effondre. Inquiétant symbole.
Si le Louvre a pu être privé d’œuvres insignes, c’est que sa cohérence interne est niée, comme l’est celle de l’exposition Raphaël : le Balthazar Castiglione a été décroché sans vergogne plus d’un mois et demi avant la fin de cette grande exposition : bref « Déhabiller Paul pour habiller Pierre » devient le maître mot de la politique muséale française.
Le dépeçage de la collection du Louvre, entre Atlanta puis Abou Dhabi ou Lens montre un Palais parisien ravalé au rang d’un entrepôt, d’un show-room où l’on pioche à volonté pour faire des coups médiatiques. Le Louvre parisien est en train de devenir un gruyère, certains s’amusent déjà à en photographier les vides, tandis que d’autres s’agacent des audio-guides commentant les tableaux absents des cimaises…
En ce mois festif de décembre, Le Louvre-Lens pourrait bien être un cadeau empoisonné.
Christine Sourgins
(1°)Sur les enjeux politiques voir A. Warlin « La face cachée du Louvre » ,Michalon, p.73 et ss.
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Mardi 12 décembre 2012
Qatar ou Qatart ?
Artprice a constaté, depuis plus de 18 mois, un nombre impressionnant de requêtes sur ses bases de données en provenance d’abonnés haut de gamme : des institutions culturelles du Qatar. Ces mouvements sont d’une vaste ampleur : les 1 800 000 Qataris, produisent un ratio 45 fois supérieur à un pays comme, par exemple, l’Allemagne !
Artprice observe que ces consultations proviennent d’experts internationaux de hauts niveaux recrutés par les Qataris et à la recherche d’œuvres d’art, systématiquement au-delà de la barrière des 100 000 euros, avec de nombreuses enchères millionnaires. Grâce à ses moyens financiers très importants, le Qatar peut surenchérir avec une marge de près de 40 à 45 % au-dessus de la cote établie…et des collections entières, nord américaines et/ou européennes sont acquises par différentes fondations culturelles Qataries. Le Qatar aurait tenté en vain de racheter Christie’s et continuerait de chercher à détenir une ou plusieurs maisons de ventes international.
Artprice a constaté des recherches spécifiques sur des périodes, des courants ou sur des artistes : Richard Serra, Murakani, Koons et Damien Hirst, Louis Bourgeois, Rothko, et Paul Cézanne (d’où l’achat de « Les joueurs de cartes » à 250 millions de dollars qui représente la plus importante transaction jamais enregistrée sur le marché de l’art).
Les artistes du Proche et Moyen Orient et Maghreb, ne sont pas oubliés, bien au contraire, sont recherchés : le Français d’origine algérienne Kader Attia, le Syrien Adel Abidine, Khalil Rabah, l’Irakien Dia Azzawi, le Marocain Farid Belkahia, l’Egyptien Ahmed Nouar, Walid Raad, Ghada Amer, Mounir Fatmi ou Zineb Sedira.
90 000 musées et centres d’art contemporain sont clients d’Artprice ; il y a en aura bientôt un de plus : l’architecte français Jean Nouvel s’est vu confié la construction du nouveau bâtiment du musée national du Qatar.
Quand on sait que la quasi-totalité de la Famille Royale est très impliquée dans le développement culturel, le Qatar ambitionne certainement de devenir numéro un de l’industrie muséale.
Christine Sourgins
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Mardi 4 décembre 2012
Le N°15 de la revue indépendante Ecritique est paru : Plus d’informations, abonnements etc sur le blog de la revue cliquez http://ecritique-revue.over-blog.com/ ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
Mardi 27 novembre 2012
Vers l’exil artistique ?
Le galiériste Daniel Templon constate : « les artistes français des années 1960, 1970, 1980 n’ont pas de marché sur la scène internationale ». Pourquoi ? Les acteurs internationaux, conservateurs, marchands, collectionneurs « répondent tous que c’est d’abord à la France et ses institutions d’en assurer la promotion, la diffusion ; ce qui à leurs yeux n’est pas le cas. Il suffit de regarder… comment le centre Pompidou défend la création française » (1) .
Alain Quemin dresse lui « La carte et le territoire » du marché (2). « A l’ère supposée de la globalisation et du métissage, de l’effacement des frontières nationales, l’immense majorité des artistes, même les plus consacrés internationalement, continuent de vivre et de créer dans le pays même où ils sont nés. Aucun d’entre les plus internationaux ne semble vivre et créer durablement dans plus de deux pays ». A quoi on peut répondre que les journées n’ont que 24 h mais surtout que si « à eux seuls les Etats-Unis concentrent près de la moitié des artistes internationaux les plus consacrés » : quel besoin un américain aurait-il de s‘expatrier ? New York est la métropole la plus attractive, Berlin loin derrière. « Le monde de l’art et de la consécration internationale, entendu au sens de l’espace dans lequel se répartissent les 100 artistes internationaux les plus reconnus, touche 21 nationalités, il ne s’étend qu’à 15 pays seulement quand on envisage les lieux de résidence » .
Les nations non-occidentales (c’est-à-dire hors Europe et Amérique du Nord ) étant pratiquement incapables de faire accéder seules leurs artistes à la consécration. L’Italie, en vogue dans les années 70/80 décroche ( le Maxxi, musée d‘Art contemporain de Rome dessiné par la star Zaha Hadid et inauguré en grande pompe en mai 2010 est en faillite aujourd‘hui (3).
Les pays émergents, tel la Chine, ne semblent pas être encore pris en compte dans ces classements établis à partir de l’Artindex 2011 : pour y obtenir un rang élevé un artiste doit sans doute justifier de quelques années de présence, sous peu « la carte et le territoire » risquent d’être bouleversés avec un polycentrisme succédant au monopole américain.
Si Paris fut prophète et agent de cette mondialisation avec en 1989 l’organisation des « Magiciens de la terre » à Beaubourg et à la Villette, la France n‘en profite pas comme elle devrait : si elle a su donner une visibilité à un suisse comme Thomas Hirschhorn ou attirer l’allemand Kiefer, « il apparaît que la France peine désormais à jouer un rôle de consécration maximale. Si elle peut encore lancer des artistes et les faire accéder à des niveaux importants de visibilité internationale, le franchissement des marches les plus élevées peut nécessiter de s’orienter vers d’autres horizons ».
Bref après l’exil fiscal… l’exil artistique ?
Christine Sourgins
1 Le journal des Arts N°376, tiré à part pour la Fiac, 5 au 18 octobre 2012. Ceux-ci étaient donc sous-représentés à la Fiac, exception faite de Supports/Surfaces bénéficiant de tout un stand.
2 Ibidem, p.14 et 16.
3 Le Monde 27 octobre 2012, p.2.
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Mardi 20 novembre 2012
Les FRAC fossiles de l’Art très contemporain
Les 22 FRAC, fonds régionaux d’art contemporain, fêtent leurs 30 ans et Charlotte Uher de la Fondation IFRAP (Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques) leur consacre un rapport « FRAC : LES RÉGIONS BOULIMIQUES D’ART CONTEMPORAIN ». (SUIVRE CE LIEN http://www.ifrap.org/FRAC-les-regions-boulimiques-d-art-contemporain,12982.html: )
Créés entre 1982 et 1983 à l’initiative de Jack Lang, les Frac avaient deux objectifs qui se sont avérés divergents : diffuser l’Art contemporain tout en soutenant les artistes par des achats. Financés très largement par l’État ou les collectivités, au bout de 30 ans, les FRAC sont obèses : « certains de ces fonds dépassent déjà en nombre les collections des musées, sans en avoir le public » constate le rapport Uher.
Les expositions du FRAC Picardie, par exemple, sont vues en majorité par le public « captif » des scolaires et des groupes. Dès 1993, les FRAC avaient abandonné les expositions dans les campagnes ou les lieux non muséaux car « de telles conditions d’expositions ne permettent pas à une œuvre, surtout quand il s’agit d’art contemporain, de prendre son sens plein ». Amère vérité : l’Art contemporain majoritairement collectionné par les FRAC est duchampien et procède donc par détournements et délocalisations d‘objets, transférés du quotidien au musée. Imaginons l’urinoir de Duchamp présenté, hors musée, dans un terrain vague : il redevient un débris ménager et les fringants médiateurs des Frac un brin ridicules…D’où le preste retour au classique « white cube » de présentation .
Chez les FRAC, la boulimie d’achats est telle qu’ils n’ont jamais pris le temps, vu leur urgence dépensière, de préciser quelles étaient leurs conditions d’acquisitions : impossible de savoir qui achète, selon quels critères et pourquoi X plutôt que Y . Les Frac « ne motivent pas les refus des œuvres qui leur sont proposées, comme c’est le cas en Allemagne, par exemple. Le prix n’est jamais communiqué, au nom du secret commercial ». Bref une gestion qui ne « permet pas de vérifier l’absence de conflits d’intérêt dans les achats ». Charlotte Uher a eu la curiosité de vérifier si la collection du Frac des Pays de la Loire, par exemple, se conformait à sa vocation d’aider « les jeunes artistes peu connus ». Peu concluant : parmi les achetés, seulement trois « jeunes artistes » …
Plus inquiétant, Charlotte Uher pointe une dérive muséale des FRAC de nouvelle génération. Quinze FRAC sur 22 ont été établis sous statut associatif loi de 1901, qui n’empêche pas, théoriquement, la revente des œuvres acquises. Mais certains « FRAC nouvelle génération » se voient dotés du statut d’Établissement public de coopération culturelle, qui risque d’être requalifiés d’EPA par le Conseil d’État ce qui donnerait un caractère inaliénable aux œuvres acquises. Or à force d’acquérir sans revendre, les collections des FRAC sont d’ors et déjà devenues pléthoriques.
Les FRAC était conçus au départ comme des « musées sans murs » : « patrimoines essentiellement nomades et outils de diffusion et de pédagogie originaux, les collections des Frac voyagent en France et à l’international. » Ces dinosaures d’un autre temps, celui de Jack Lang, ont aujourd’hui des catalogues qui rivalisent avec les musées. Certains FRAC ont plusieurs milliers d’œuvres par région quand le Centre Pompidou, la collection la plus riche d’Europe en Art contemporain, n’expose dans ses salles que 486 œuvres contemporaines, le reste relevant de l‘art moderne. « Faute de pouvoir montrer au public leurs collections, et à défaut de les exposer hors de musées, les FRAC sont en train de se faire construire des « super-réserves, comprenant salles d’exposition temporaires ou permanentes pour leurs œuvres ». Or, en se sédentarisent, en devenant des musées qui ne veulent pas encore dirent leur nom, les FRAC contreviennent à leur mission première d’une collection fluide, mouvante, allant à la rencontre du public. Plus les FRAC se bureaucratisent et se muséifient, plus les crédits réservés aux acquisitions se réduisent. C’est déjà le cas au FRAC Picardie, « le budget réservé aux acquisitions a été considérablement réduit, au profit des dépenses de fonctionnement. Un comble pour un fonds dont la mission première est l’acquisition ! » .
Les FRAC de par leur ventripotence « opèrent aussi une mutation dont l’impact budgétaire sera très important dans les années à venir : une forte hausse des coûts de fonctionnement, restés jusqu’ici encore assez limités. Qui paiera la facture ? ». L’Etat bien sûr : depuis la crise, la région est progressivement passée du statut de premier financeur, à la seconde position derrière l’État.
Avons-nous vraiment besoin de 22 nouveaux musées d’Art contemporain ? se demande Charlotte Uher et même allons plus loin, « Est-il encore utile aujourd’hui d’avoir des fonds publics d’art contemporain ? »
La question est légitime : utile peut-être lorsque Jack Lang était ministre, « l’échelon régional du FRAC perd beaucoup de son attrait au XXIème siècle », vu l’essor des fondations privées extrêmement actives en ce domaine : Fondation Cartier pour l’art contemporain, fondation des Galeries Lafayette (250 œuvres), Fondation Francès à Senlis (350 œuvres), Fondation Louis Vuitton , … avec des expositions itinérantes en France, facilement consultables sur Internet, à l’instar de la plupart des collections des musées français et internationaux. Jack Lang oeuvrait à une époque antédiluvienne : avant le déluge d’infos d’Internet et le déluge d’argent de l’Art Financier. La prétention à aider, grâce au secteur subventionné, un art non commercial est devenue une tartufferie. Lang c’était aussi avant le déluge de la Dette.
« Les acteurs publics devraient donc se réjouir de voir l’art contemporain se diffuser largement sans coûter aux finances publiques, dans une période où le budget alloué à la mission culture se réduit. Mais, s’il faut en croire le magazine Beaux-Arts, il n’en est rien ». La jalousie fait rage et la nomenklatura culturelle rêve « d’ imposer aux entreprises qui créent leur fondation et bénéficient pour cela d’un avantage fiscal de reverser ne serait-ce qu’1% des sommes à l’État pour abonder les musées ». La situation deviendrait ubuesque dans un pays qui prétend avoir une économie libérale : prélever de l’argent destiné à exposer des œuvres au grand public pour le donner à un musée public afin de faire exactement la même chose…reviendrait à ce que l’Etat concurrence le secteur privé innovant. Concurrence totalement déloyale : est-ce déjà ce que cache la manie de ne jamais communiquer les prix d’achat « au nom du secret commercial » ?
Voilà à quoi aboutit 30 ans de création dirigée par l’ETAT.
Pour soigner l’obésité des FRAC et alléger le fardeau fiscal du citoyen, le rapport Uher propose de revendre les collections des FRAC, organismes de droit privé dont les acquisitions sont aliénables. Ou bien de faire gérer les FRAC « nouvelles générations » par des opérateurs privés, contre redevance.
Mais les FRAC ne sont pas les seuls mic-mac, tous boulimiques de l’Art très contemporain : il y a aussi le FNAC, Fonds national d’art contemporain (90 000 œuvres) ; Paris dispose d’un FMAC, Fonds municipal d’art contemporain, Marseille du FCACA et Nice du délicieusement nommé MAMAC. Qui nous délivrera de ces fossiles ruineux de l’AC ? Mme Filippetti ?
Christine Sourgins
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Mardi 13 novembre 2012
Censure à géométrie variable
La dernière Fiac 2012 ne montrait qu’une seule œuvre outrageusement transgressive : l’américain Paul Mc Carthy présentait un Georges Bush sodomisant un cochon, en trois dimension, grandeur nature. Aucun remous dans les allées du Grand Palais où, quelques Fiacs plus tôt, Wim Delvoye exposait ses porcs tatoués de Vierges Marie et autres sujets chrétiens. Aucune huile ne trouva à y redire non plus.
Novembre 2012, une artiste peintre, invitée d’honneur dans un salon municipal de la région parisienne, expose une thématique animalière et propose en guise d’affiche, et en accord avec les organisateurs, un morceau de bravoure : une immense toile décrivant, en vue aérienne, une portée de petits porcelets soyeux et frétillants, blottis contre leur mère. L’artiste (de la génération que Disney enchanta avec Naf-Naf et son grand méchant loup) est végétarienne, et porte un regard amical et compatissant sur le monde animal. Donner à voir la beauté de chaque créature vivante, même de celle jugée « triviale », n’est ce pas une des fonctions traditionnelle de la peinture ? Quelque temps après, coup de fil gêné des organisateurs (visiblement « conseillés « de plus haut ) :
-« Impossible de mettre « ça » sur une affiche dans la ville : cela pourrait heurter la communauté musulmane …….Vous n’auriez pas plutôt des oiseaux de mer, ça ne ferait aucune histoire ? »
Au même moment, au centre Beaubourg, le franco-algérien Abdessemed montre une truie qui tète une femme, histoire de prouver, nous dit-on, que « l’instinct maternel d’une femme vaut bien l’instinct maternel d’une truie ». (Selon Nicole Estérole, cette femme est même voilée).
Cherchez l’erreur !
Noter aussi que la vraie censure (pas celle dont les journaux s’indignent) est toujours sournoise, orale, donc indénonçable explicitement.
Christine Sourgins
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Mardi 6 novembre 2012
Pour savoir ce que collectionnent les fonctionnaires avec nos contributions : vous pouvez lire mon étude « Au coeur de l’art officiel, Fnac et attrapes « à télécharger en ligne gratuitement sur le site de « Sauvons l’Art » cliquez
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Mardi 30 octobre 2012
Cette semaine de vacances vous pouvez lire les « 9 propositions pour une renaissance artistique en France », à diffuser, à télécharger en ligne sur le site de « Sauvons l’Art », cliquez.
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Mardi 23 octobre 2012
En revenant de la Fiac…
Au Grand Palais, passé le salon d’honneur, au pied des escaliers, un saisissement : une dizaine de Manessier dressent leurs verrières abstraites. D’immenses toiles, reparties sur deux salles qui ont l’air, soudain, de chœurs d’église. De la très grande peinture. Plus loin un portrait, un dessin spectaculaire de Hucleux, récemment disparu, impose lui aussi l’Art avec majuscule, celui qui avait à dire et possédait un savoir faire. Mais qui a parlé, dans la presse, de ces morceaux de choix ? C’est bien le problème, il y a encore de la bonne peinture à la FIAC mais c’est l’exception et celle-ci relève plutôt de l’Art moderne et quand bien même, Viera Da Silva, Kirchner ou Brauner n‘intéressent pas une presse à sensations. Mais ils jouent le rôle indispensable des arbres qui cachent la forêt de l’art financier.
Les Desgrandchamps (et le Garouste) étaient poussifs et ce n’est pas la peau de girafe qu’Etienne Chambaud aime à tendre sur châssis qui nous convaincra : question peinture contemporaine, la FIAC peigne la girafe.
Et l’on s’ennuit. En ces temps de crise la transgression fait profil bas. Sauf Paul Mc Carthy qui présente un Georges Bush sodomisant un cochon (l’ex président a le nez est cassé, il faudrait y voir une allusion cultivée au sphinx d‘Égypte (?)) La chose à l’air en terre crue, humide, comme sortant de l’atelier, sujet trash mis à part, beaucoup sont sur le point de s’extasier : « quel boulot, comment fait-il pour que la terre ne sèche pas ? ». En fait (merci à P.P de ces précisions) il s’agit d’élastomère coloré, ce qui doit simplifier le moulage de certains objets, mais surtout entretient un semblant de continuité avec la grande sculpture. Pour la modique somme de 2 millions de dollars.
La transgression se décline : Abdessemed l’affiche en grand à Beaubourg dans les institutions (Le coup de tête de Zidane statufié comme un exploit ou le Christ de Grünwald rejoué en barbelés…) mais à la Fiac, on vend la version soft de la grande transgression : les salons bobo se contenteront de cercles en jolis barbelés plats (sans grand danger) ainsi participeront-ils par échantillon interposé, au culte de la transgression généralisée. Sinon, on baille devant le piano poissé de Lavier ou le filet d’Annette Messager qui écrit « chaos » sur un mur avec une résille (ça aussi c’est vendable : du chaos bien domestiqué pour adolescents attardés ). Même la salle de bain/scène de crime ne déclenche pas un frisson : mal fichue, bâclée, une poupée Barbie aurait pu la signer. Partout on voit du sous-untel (Horowitz pastiche Lichtenstein etc) du rabâchage mais onéreux.
Seul le bois pourri de Hermann de Vries a déclenché quelques inquiétudes : l’Art dit contemporain, l’AC, pose des problèmes de conservation et 20 Minutes en a fait sa une, le 19 octobre, et conte au passage une histoire savoureuse. Un musée avait acquis une installation avec des poussins vivants or, en deux mois, voilà l’installation dénaturée : les poussins étaient devenus des poules. « Dans ce cas, ce que l’on conserve c’est un procédé conçu par l’artiste pas une oeuvre »… L’éphémère du contemporain est souligné par le catalogue.
L’ouvrage est lourd, il faut montrer que la culture pèse, en couverture des régimes de bananes mûres, photographiées à l’étal d’un marché, le prix visible (ce qui n‘est pas le cas dans la Fiac !) : s’agit-il d’opposer la consommation courante bon marché à la consommation culturelle du marché financier ? Faut-il y voir un message subliminal, genre « les carottes sont cuites » ? Car parmi les sponsors de la FIAC, on remarque, o ironie du sort, la maison de champagne RUINART (voyez page 82).
Est-ce un signe ? Un aveu ?
Christine Sourgins
Voir aussi l’Article publié dans le Figaro du 18 Octobre 2012, page 30, à propos de la FIAC, suivre ce lien : cliquez
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Mardi 16 octobre 2012
Emois et embrouilles autour de l’intégration des œuvres d’art de plus de 50000 euros dans l’ISF. La proposition est venue d’un député PS mais Jack Lang, Mme Filippetti, le 1er ministre et dit-on François Hollande seraient contre. De l’aveu même du rapporteur général du Budget à l’Assemblée, Christian Eckert, le rendement de cette mesure « ne devrait pas être très important ». Ce qui laisse dubitatif. Les garde-fous proposés ne semblent guère convaincants : consentir à exposer son patrimoine au public pour être exempté ? Nouvelle embrouille : qui va payer l’assurance, les dégâts éventuels des mimines baladeuses ? Exposer demande un personnel d’accueil, d’entretien, de garde…en avons-nous les moyens ?
L’embrouille majeure porte sur la confusion entre taxation d’une plus value et imposition frappant la simple possession d’un patrimoine. Autant on peut être en faveur d’une sorte de taxe Tobin qui frapperait les grandes ventes spéculatives et donc l’Art Financier, autant on doit être très très méfiant à l’égard d’une proposition qui s’attaque au patrimoine artistique.
En effet, la possession d’un objet d’art coûte et ne rapporte pas toujours : en matériel de protection (combien de château, ouverts à la visite, et dévalisés !) assurances et surtout de restauration car toute œuvre patrimoniale est une miraculée en sursis. Il arrive même qu’on soit perdant. Celui qui aujourd’hui vendrait des meubles XVIIIème acquis il y a 30 ans subirait une moins value car la mode a tourné. On mesure l’injustice si son impôt dans l’ISF était estimé en fonction du prix d’achat réactualisé ! C’est un coup à provoquer le largage en masse d’un patrimoine devenu tonneau des danaïdes !
Autre problème d’une taxation de la simple possession (et non d’une plus value dûment constatée) : qui va estimer ? Les inspecteurs des impôts vont -ils devenir historiens d’art ou les historiens d’art des supplétifs des contributions ? On imagine l’atmosphère de délation : « Mr l’inspecteur, je vous signale que mon voisin possède dans son salon, une gouache d’un certain Bonnard… » le tout écrit genre collage cubiste avec des coupures de presse. Sans compter sur l’inquisition des huissiers (?) tirant votre sonnette à 8 heures du mat et demandant à rentrer chez vous dans la minute (forcément par surprise, sinon vous auriez le temps de cacher le petit Bonnard ).
Et puis vous connaissez l’Etat, on commence par faire la chasse au Bonnard mais après…l’AC nous a appris que tout est art, n’est-ce pas ? Après, ce sera par exemple les disques ou BD de collection qui pourront être taxés. Jusqu’au porte clé et à l‘argenterie de Grand-maman ! On est toujours le « riche » de quelqu’un d’autre. Ne souriez pas, la proposition de loi portait au départ sur 5000 euros ! Ceci devrait mettre la puce à l’oreille : ce ne sont pas les grands spéculateurs d’AC qui sont visés ; à 5000 ou 50 000 euros, peu importe, leur assise internationale et leurs services juridiques auront tôt fait de transformer un patrimoine perso en fondation sous pavillon de complaisance… ils échapperont à la mesure en délocalisant, comme d’hab. Seront pressurés ceux qui préservent à la force du poignet un bien familial.Comme d’hab ?
Pas tout à fait, en agitant le chiffon rouge de l’Art financier et des banksters honnis (alors que ces oiseaux de proie s’envoleront vite), on aura réussi à faire souscrire à la mesure… les vrais pigeons !
Christine Sourgins
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Mardi 9 octobre 2012
Quelques signes de craquements se font entendre dans l’empire de l’AC : non seulement les étudiants se révoltent en Avignon, mais la baisse des crédits vient de compromettre Monumenta, « l’expo qui ment monumentalement » et confisquait le Grand Palais au profit d’un seul des business artistes ; l’édition 2013 qui, après Buren, devait couronner les russes Kabakov est annulée. Mais voilà qu’ un mur (du XVIIème) s’est effondré à la villa Médicis alors sous la direction d’Eric de Chassey : un signe providentiel de la culture menée dans le mur par nos apparatchiks…?
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Mardi 2 octobre
La mutinerie d’Avignon (suite)
Mr Ferrari vient d’être écarté de son poste de Directeur de l‘Ecole d‘Art d‘Avignon : c’est une première victoire des étudiants mutins d’Avignon qui s’opposent non pas tant à un homme qu’à un système qui a éradiqué l’Art des Ecoles d’Art. Avignon concentre tout le cocktail de l’AC français : l’état, la municipalité, la région, le collectionneur, les médias… et les jeunes. Le directeur est maintenant lâché, transformé en fusible pour éviter la crise systémique. Ses projets étaient tout à fait emblématiques : lui qui voulait faire d’Avignon la quintessence de l’Ecole d’AC fut sur le point de réussir grâce à l’affaire de la collection Lambert.
La collection Lambert
Celle-ci a ouvert ses portes en 2000, dans un hôtel particulier du XVIIIe siècle, elle comporte 600 œuvres pour une valeur estimée par Christie’s à près de 100 millions d’euros. En 2011, le Président Sarkozy, en visite, reçu d’Yvon Lambert lui même la confirmation de la donation de ce « trésor » à l’État et son dépôt permanent à la ville d’Avignon. Mr Hollande, à peine élu, accouru en juillet pour remercier ce mécène : le Département, la Région et l’Etat vont subventionner un maximum ce «plus important geste de générosité pour les collections publiques depuis plus d’un siècle ». Geste qui pourrait bien cacher un calcul dont les politiques sont régulièrement dupes : en donnant sa collection le TGC (très gros collectionneur) valorise les pièces restantes, que celles-ci soient en sa possession ou en mains amicales, ainsi se garantit la côte des artistes et des produits de l’Art Financier qui est un jeu de réseau. Mr Lambert a la réputation de n’avoir jamais découvert aucun artiste mais d’avoir collectionné très opportunément plutôt de l’art américain que de l’art français ou européen. Si certains étudiants ont pu se réjouir d’être logés dans la proximité vivifiante des « grandes œuvres de notre temps », ils ont vite déchantés, requis pour des stages artistiques de balayage, de manutention ; le plus intéressant fut de repeindre les murs de l’exposition Lawrence Weiner…
Une donation de cette ampleur justifie une extension prévue en 2014 et voilà la prestigieuse collection Lambert qui lorgne pour s’agrandir vers les superbes locaux voisins : l’Hôtel de Montfaucon, édifice historique classé, qui n’est autre que l’école des Beaux-Arts ! Peut-on rêver symbole plus fort des ravages de l‘AC ? Une collection de milliardaire qui exproprie les étudiants de leur Ecole d‘Art. Non point place aux jeunes mais place au jeu financier. Tout portefeuille bien garni devenant illico « une personne qualifiée », Mr Lambert siège donc à ce titre au Conseil d’administration de l’Ecole : notez le conflit d’intérêt car la personne « qualifiée » est juge et partie. Notez aussi les collusions entre bien public et intérêts privés, pointées par la pétition des élèves : « La mairie préfère investir massivement de l’argent public pour la Collection d’un milliardaire, plutôt que d’assurer la survie d’une école ». Mme la Maire a barre sur l’établissement en tant que présidente du conseil d’administration ; des lettres recommandées l’ont, semble-t-il, avertie depuis longtemps de certaines anomalies. Mais officiellement le déni est de règle et les disfonctionnements seraient dus à un manque de moyens ou au passage à un autre statut, celui d’EPCC, Etablissement public de coopération culturelle (une invention juridique de 2002 qui sert à pomper les finances privées). Déni aussi lors d’un dépôt de plainte au commissariat à l’encontre du directeur pour faits de harcèlement : refus d‘enregistrer, accusations répétées de « mythomanie » se plaignent les étudiants…qui ont fini par trouver une oreille plus impartiale à la gendarmerie voisine. Déni aussi dans la presse car les étudiants, invités à un débat par un grand quotidien, se sont vite aperçu que le journaliste était copain d’un copain de Mr Ferrari : réseau quand tu nous tiens !
L’Ecole Nomade supérieure
Le Directeur, déjà à la tête d’une école d’art vidée d’art et menacée d’expropriation par une « personne qualifiée » eut un coup de génie : au lieu de se rebeller contre la puissance occupante, il surenchérit et prétend que la « réappropriation du réel » est au coeur de son nouveau projet que « tout concourt à faire de la situation la condition de l’oeuvre » : bref il invente une Ecole Nomade supérieure (sic) « mobile, étoilée, en réseau avec tous ses partenaires » soit la quintessence de l’école d’art contemporain : déracinée, virtuelle et polyvalente. Dans le jargon cela s’appelle des pratiques artistiques « collaboratives et participatives » (par exemple donner des cours de cuisine… dans la section restauration). Même plus de locaux (en attendant une hypothétique nouvelle école, en périphérie de la ville), une désorganisation encore pire qu’aujourd’hui mais le salaire du directeur serait une des rares choses à ne pas être évanescente… Une pétition de soutien à ce projet fumant reproche aux étudiants leur conformisme, leur « académisme » car ils veulent des locaux, des enseignements ! Ces pauvres étudiants manqueraient donc d’originalité et d’adaptation concluent les amis du directeur, Jean de Loisy en tête, par ailleurs président du Palais de Tokyo. D’un coté des Etudiants fautifs de vouloir étudier ; de l’autre « les nomades supérieurs » qui félicitent le directeur d’avoir développé, dès les années 90, une recherche axée sur l’apparition et la disparition de l’oeuvre. L’école Nomade supérieure est effectivement un accomplissement absolu puisque c’est maintenant l’Ecole d’Art qui disparaît !
Les « Nomades supérieurs » invoquent les situationnistes et le Black Mountain College pour justification. Mais ce qui est frappant, en discutant avec les jeunes révoltés, c’est leur ignorance des résistances antérieures et de plus de 30 ans de luttes contre la culture dirigée. Non seulement le système leur a coupé les mains mais il leur a aussi volé la mémoire.
Christine Sourgins
Plus d’infos sur : http://sud-etudiant-esaa.blogspot.fr/
Pour soutenir les étudiants, ne pas se tromper de pétition, celle des mutins est sur :
http://www.petitionenligne.fr/petition/petition-des-etudiants-de-l-ecole-d-art-d-avignon/2673
cliquez
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Mardi 25 septembre 2012
La mutinerie d’Avignon
Le jeudi 13 septembre la librairie Tropiques, rue Losserand, Paris 14e, recevait trois étudiants de L’Ecole d’Art d’Avignon plus un de leurs professeurs, un des rares qui ose les soutenir. Tous les quatre étaient venus expliquer pourquoi depuis fin mai, l’Ecole d’Art d’Avignon est en grève, pourquoi ils demandent la réintégration des 20 étudiants évincés et… l’éviction du capitaine, Mr Ferrari. Cet ex-artiste devenu directeur a donc bénéficié du principe de Peter qui veut que tout homme s’élève jusqu’à son niveau d’incompétence. Mr Ferrari se targue d’une devise toute nietzschéenne : « dans une école d’art, il y a le chaos d’abord, et de là ensuite peut émerger quelque chose qui peut interroger la beauté du monde ». Ce lyrisme s’est traduit par une organisation kafkaïenne : livret étudiant inexistant, horaires non respectés, cours improvisés, bref la confusion élevée au rang des beaux-arts. Les étudiants se plaignent de situations ubuesques : un étudiant qui a déplu ne peut ni passer ni redoubler car les modalités d’admission et les critères de sélection relèvent du flou artistique. Certains crédits (de notes) accordés sont retirés sans explication, normal, finalement, dans un système qui cote « à la gueule et au copinage »….Voilà un bon entraînement pour avoir, plus tard, l’échine souple face aux gros collectionneurs et aux petits chefs de Frac ou Drac qui font le charme de l’AC. Ces faits relèvent du tribunal administratif qui dira si ces dysfonctionnements sont des abus de pouvoir mais cette instance mettra 2 ans à statuer…
S’y ajoute du harcèlement et de curieuses méthodes (pour qui ne connaît pas l’AC) : en guise de performance, il a pu être suggéré à certains (certaines plutôt) de se déshabiller pour prouver le don de leur corps à l‘Art. Une étudiante témoigne : on lui a reproché de ne pas être « habillée comme une artiste et qu’à moins que je vienne toute nue à ma soutenance de bilan, ou que je fasse des photos de moi où l’on me verrait déshabillée, on décrétait que je n’étais pas une artiste et que si je voulais avoir mon diplôme c’était la seule condition. » Ce genre d’ initiation à l’art contemporain s’est traduit par deux plaintes pour harcèlements moral et sexuel. De son côté, le directeur, après avoir annulé des élections étudiantes et débarqué ses mousses, les a attaqués en justice leur demandant rien de moins que 10 000 euros de dommages. Car le groupe de rebelles avait utilisé le nom de l’Ecole pour titrer un blog. Jeudi 13 septembre, résultat du procès : l’Ecole est condamnée à 1500 euro de dommages et intérêts, convaincue d‘avoir « truqué les preuves » (et corrigé une capture d’écran ), ce qui ne surprenait guère les étudiants habitués à voir leurs bulletins trafiqués, mais les jeunes mutins furent surpris d’entendre l’avocat de l’école les comparer au Ku Klux Klan car, paraît-ils, ces jeunes avancent masqués… Car face au système (qui unit l’Ecole, la Mairie, l’Etat et, on le verra, un grand collectionneur) les mutins se sont réfugiés sous le pavillon du syndicat SUD, plutôt gauche que KKK….
On se demande qui avance masqué puisque, bizarrement, après un piratage du site et postage de photos porno, des personnels administratifs, soudainement très prudes, ont exercé leur droit de retrait ce qui entraîna l’annulation des examens et ressemble fort à une punition collective qui ne veut pas dire son nom.
Le n’importe quoi et les injustices ne sont pas nouveaux, mais généralement c’est un seul élève à la fois qui en pâtissait . L’erreur du directeur fut c’est d’avoir vu grand et viré par-dessus bord 20 membres d‘équipage (de 3ème année). Sur 150 étudiants, 120 ont alors signé une pétition. Suivi un appel à témoins qui recueillit 50 récits très croquignolesques . Comme l’affaire a été un peu médiatisée dans les journaux locaux, la presse nationale restant frileuse, voici nos mutins recevant moult SOS d’autres écoles des Beaux-Arts . Aix ? Rouen ? Villa Arson ? Partout pareil, autrement dit : « si c’est de l’art, tout est permis ».
Ce qui montre, derrière le dilettantisme des capitaines, un gros problème de pédagogie. Nouveauté inouïe par rapport à 1968, voilà des étudiants qui se rebellent, revendication Numéro 1, pour APPRENDRE ! Et apprendre quoi ? Le conceptualisme ? La sémantique duchampienne ? Non, ils veulent apprendre des Techniques. Une révolution de réactionnaires ? Un étudiant n’avait pu suivre cette année qu’un vague cours d’anthropologie au 1er semestre puis un cours de droit d’auteur au second. Pas un seul cours de dessin bien sûr :le dessin fait figure de savoir merveilleux…d’Eldorado dispensé dans des écoles privées et payantes.
Une partie de l’école s’occupe de restauration mais « les professeurs habilités en Conservation-Restauration, en histoire de l’art, histoire des techniques ou en pratiques telle que la copie, sont présents au sein de l’école mais n’ont pas été inclus dans l’emploi du temps » . Le directeur semble avoir très mal supporté la présence de cadres à restaurer : le cadre est un objet fasciste, une incarnation de la frontière, de la limitation, un suppôt de la réaction ! ( Là dessus tout le monde est d’abord : il faut supprimer d’urgence les cadres du Ministère de la culture ).
Comme, sur le papier, Avignon est une grande Ecole, les étudiants furent éberlués de voir qu’ on leur confiait, pour étude et pour restauration, des œuvres qui peuvent être « importantes » or les jeunes restaurateurs sont complètement démunis, on ne leur apprend rien !
Une poignée fait de la résistance, au cours de photo argentique : ils sont traités de « mélancoliques » . Eh, oui, les dinosaures ne sont plus les attardés du pinceaux mais les amateurs de photo ! Le prof de photo argentique est méprisé par le prof de numérique : c’est un technicien de l’argentique mais les élèves préfèrent les techniciens.
La désorganisation totale d’un enseignement vide soulève la question qui fâche : comment fonder un diplôme valide sur l’enseignement de rien ? On savait l’enseignement de l’art moribond en France, les techniques, le dessin, passés par-dessus bord et remplacés par le marketing et le réseautage. Mais la mutinerie d’Avignon montre que les Ecole d’Art sont en coma dépassé. Les élèves sont là pour justifier nominalement les financement et un système qui accepte largement , en premier cycle, et jette impitoyablement ensuite tout ce qui n’est pas conforme au label AC.
Le système (tout le système de l’AC) ne vit que de l’omerta : les victimes, les étudiants en servitude volontaire, se taisent pour ne pas révéler que leur diplôme est vide. Omerta aussi chez beaucoup de professeurs non titulaires, donc fragiles. Ils ont quelques consolations dans l’ usage des locaux et du matériel « ils se servent », lâchent les étudiants qui qualifient le système d‘ « hédonisme institutionnel ». L’ Atelier de gravure, fermé pour cause d‘archaïsme, envoya à la poubelle des milliers d’euros de matériel de sérigraphie …. Pas grave, le contribuable payera.
Mais gardons le meilleur pour une prochaine fois : l’affaire de la collection Lambert qui vit s’incliner bien bas nos deux présidents, le « normal » et l’autre. Pas de chance pour les mutins : l’AC ne connaît pas d’alternative… que le vent souffle à droite ou à gauche, l’AC est en passe de réussir un exploit : exproprier des jeunes artistes de leur école d’Art… Voilà qui mériterait le livre des Records…à suivre.
Christine Sourgins
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mardi 18 septembre 2012
A l’approche de la Fiac, les idées fusent, ainsi le Le 15 octobre à 20 h, Le PALAIS de TOKYO organisera une vente aux enchères de l’immatériel au bénéfice, non pas des syriens, de Haïti ou une autre population sinistrée, mais au bénéfice … du Palais de Tokyo . Cette charité bien ordonnée se déroulera « avec l’aimable participation du commissaire-priseur Simon de Pury ». C’est donc très sérieux.
Parmi les participants : Pierre Bergé / Christian Boltanski / Martin Bethenod / Gloria Friedmann / Ryan Gander / Jean-Paul Goude / Bertrand Lavier / Jean-Jacques Lebel / Claude Lévêque / Annette Messager / Philippe Parreno / Yan Pei-Ming / ORLAN / Franck Scurti / Xavier Veilhan / Francesco Vezzoli……
On nous donne quelques exemple de lots :
Un veinard va gagner celui de Pierre Bergé : l’homme d’affaires vous ouvre exceptionnellement les portes des réserves de sa Fondation Yves Saint-Laurent et joue les conférenciers.
Christian Boltanski, lui vous fait participer à son « œuvre ultime » (il a vendu sa vie filmée à un milliardaire de Tasmanie) et vous convie dans son atelier filmé 24/24h pour devenir, en sa compagnie célèbre (mais en Tasmanie) ; (bref, une énième version du quart d’heure warholien ). Quant à l’artiste Francesco Vezzoli , il vous invite à passer une nuit avec lui dans un night-club à Milan. Et plus si affinité ? L’annonce ne le dit pas….!
L’Art contemporain a donc trouvé la solution de la crise financière : vendre nos actifs immatériels à nos créanciers !
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– Ca n’est pas pour rire que je t’ai aimée…
Le dernier Livre d’Aude de Kerros « Sacré Art contemporain », éditions Jean-Cyrille Godefroy, est donc le viatique indispensable pour comprendre les rapports très tordus de l’AC et du christianisme.
Mathieu dénonçait aussi « la véritable « mafia » qui dirige l’orientation de l’art dans le monde », cet art dont la finalité « n’est plus que sa propre mort », une « gangrène culturelle » où sévit « l’influence des modes américaines ».
Là, une mise au point s‘impose : Mathieu fut rédacteur en chef pendant 10 ans d’une revue culturelle bilingue et ne peut être soupçonné d’antiaméricanisme primaire, au contraire, il fut « le premier en Europe à révéler l’importance de l’art américain dès 1948 sans savoir alors qu’il s’agissait, non d’une pure manifestation artistique spontanée, mais d’une volonté déterminée de voler l’idée d’art moderne à l’Europe et à Paris en particulier » ( le livre de Serge Guillebaut l’avait passionné).
Mathieu, qui épinglait « ces renégats dont la légitimité ne s’est conquise qu’à l’aide d’un passé récusé », qualifiait l’œuvre de Duchamp de « transartistique », ce qui est bien vu, il rapporte une conversation avec Castelli :
-« savez-vous que je vous considère comme le plus grand fossoyeur de l’art contemporain ?
– Non, répondit l‘autre, ce n’est pas moi, c’est Duchamp.
– Oui, mais Duchamp avait de l’humour…
Significative encore, l’anecdote où Clément Greenberg lui dédicace une photo « A G. Mathieu, le peintre d’outre atlantique que j’admire le plus » « tout en m’interdisant de rendre public ce jugement craignant d’attenter à la réputation d’hégémonie artistique des Etats-Unis ». « L’intelligentsia américaine de gauche, voulant se démarquer du stalinisme …prit partie pour la peinture abstraite… ». L’avant-garde américaine (devient) une arme culturelle contre la propagande soviétique », bref un effet « du nationalisme américain incarnant une véritable idéologie dont le sectarisme n’a cessé de croitre ». Avec la complicité des médias, de l’intelligentia et de la bureaucratie française peut-on ajouter aujourd‘hui.
Vous retrouverez les idées de Mathieu dans le livre qui publia suite à ce pamphlet : « Le massacre de la sensibilité », Odilon Média 1996.
Le représentant du ministère de la culture a brillé par son absence à ses obsèques. Logique : la rue de Valois organise l’invisibilité de Mathieu depuis trente ans. Beaubourg ne lui a même pas consacré une grande exposition, préférant les réserves aux cimaises pour un morceau de bravoure tel que « Des capétiens partout ». Ce titre, qui fleure bon l’histoire de France, est-il politiquement correct ? Et Mathieu tel St Georges rompit des lances pour demander, horresco referens, le retour de l’éducation artistique à l’Ecole…voire la suppression du ministère de l’inculture.
Une arme fatale pour la culture et le monde associatif en général…commente Vincent Noce : la position du ministre n’est pas arrêtée… mais la menace réelle.
La conférencière commence habilement par :
-Alors les enfants, on est content d’être au Centre Pompidou ?
Les enfants, de sortie :
– Wouiiiiiiiiiii !
Et là arrive le Scud, qui va exploser la conférence sous le nez du professeur éberlué. La jeune femme aux enfants excités :
– Vous souhaitez visiter le musée dans le sens normal ou à l’envers ?
Evidemment, face à un choix amusant, les enfants ont crié d’un seul coeur :
-A l’envers ! Chouette !
Difficile pour le professeur de désavouer, devant ses élèves, un adulte qui représente le musée ; d’ailleurs le temps qu’il y réfléchisse, la visite a déjà commencé. Là, tout devient prévisible : au bout d’1h15 d’art très contemporain et rien que contemporain, le guide regarde sa montre :
-Oh, zut, le temps est si court, plus qu’un quart d’heure… !
L’intitulé de la conférence n’a absolument pas été respecté : ce n’est plus Beaubourg, c’est le rebours contemporain !
Maisqu’est-ce que Mme Filippetti va bien pouvoir inventer pour rendre « accessible » l’Art contemporain aux enfants ?
Evêques, Inspecteurs et Commissaires
Editions Jean – Cyrille Godefroy
Mardi 22 mai 2012
Lyon, le jeudi 14 juin, au musée d’Art religieux de Fourvière, pour le colloque « Arcabas et ses contemporains face à la Passion et Résurrection »,
voir le site www.lyon-fourviere.com
« Art ou Mystification – Huit Essais »
« Galerie « Russky Mir »
7 Rue de Miromesnil, 75008 Paris
Ce qu’on nomme « art contemporain » suscite, pour qui n’est pas de cette boutique, perplexité, désarroi, interrogations ou simplement hostilité impuissante. Comment en rendre compte ? C’est à cette question que tente de répondre le livre bilingue français/russe Art ou mystification ? huit essais publié à Moscou aux éditions Russki Mir (Monde russe). Les auteurs, tous engagés de longue date dans le débat, viennent de différents horizons. Joignant leurs voix, ils apportent une contribution nouvelle, permettant au lecteur de se faire une opinion en toute indépendance par rapport aux mécanismes d’inculcation idéologique, aux intérêts spéculatifs et aux circuits institutionnels qui mènent la danse. Ils prouvent ainsi qu’une critique savante et cultivée de cet art prétendu est possible malgré les efforts pour la réduire au silence.
Chaque star de l’AC, cet Art très contemporain, rentrant à Versailles avec strass et paillettes pour donner un coup de pouce à la cote d’un grand copain collectionneur, a fonctionné comme une piqûre de rappel de la gaffe présidentielle. L’image d’un président m‘as-tu-vu, volontiers mufle avec la princesse de Clèves, s’est mise à lui coller à la peau. Koons, Murakami et consorts, imposant leurs babioles tapageuses au sein d’un symbole national, historique, ont régulièrement humilié l’électeur de base. En effet, ce Palais des Rois, pris par le peuple lors de la Révolution, était donc repris par des milliardaires de l’Art officiel. Ils y marquaient leur territoire reconquis par d’onéreux joujoux aussi éphémères que désinvoltes. M. Aillagon se chargeant de d’entretenir une présidence tape-à-l’œil en multipliant les provocations…avant de finir par soutenir M. Hollande.
Au final, Pompidou a laissé le centre Beaubourg, Giscard lancé le musée d’Orsay, Mitterrand d’Arche en Pyramide, laisse des « Grands travaux », Chirac un musée au Quai Branly et Sarkozy…l’art Blink-blink à Versailles !
Ironie du sort, c’est la conjonction de Fouquet et Versailles qui provoque la chute de l’astre Sarkozy : M. de La Fontaine eut écrit une fable, avec Mr Aillagon dans le rôle du renard, orthographié « renart » :
Maître Sarko sur un arbre perché
Tenait dans son bec un fromage.
Maître Renart par l’odeur alléché…etc
Il n’est pas sûr, en revanche, que le nouveau Président (ou Martine Aubry qui lorgne, dit-on, la place de Frédéric Mitterrand) ait retenu la leçon :
« Il jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendrait plus ».
Nous verrons.
Christine Sourgins
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Mardi 1er mai 2012Autre revendication du Manifeste : « redonner une visibilité aux artistes dans leur diversité ». Que l’Etat arrête de donner, rubis sur l’ongle et aux frais du contribuable, le Grand Palais à un seul artiste de l’establishment officiel international (le prochain bénéficiaire sera Buren, programmé par l’administration Sarkozy mais qui soutient Hollande… c‘est dire l‘enjeu politique !). Car, ce faisant, l’Etat subventionne chichement les salons historiques de peinture et sculpture. Moyennant quoi, l’Etat est fier comme Artaban de dire qu’il aide aussi les artistes de l’œil et de la main…alors qu’il leur reprend, en douce, la maigre subvention octroyée, en leur louant à prix d‘or, l’espace donné à Buren et consort ! Faire respecter les obligations sociales et fiscales ; créer un dispositif d’incitation fiscale, développant un mécénat, qui ne soit pas systématiquement orienté vers un art spéculatif, est un autre volet du manifeste ( la défiscalisation des achats d’œuvres non spéculatives déjà soutenu par la MDA a connu l’échec, vu la lutte contre les niches fiscales). Le fonctionnement des commissions est à revoir pour mettre fin à l’opacité devenue, hélas, règle courante : qu’il s’agisse du 1% ou d’attribuer subventions ou marchés publics, il faut une transparence des critères. La composition des commissions d’achat doit être connue, leurs choix motivés et les sommes dépensées clairement publiées, il s’agit quand même de l’argent du contribuable et nous sommes censés être en démocratie. En matière d’opacité, le ministère donne l’exemple : un rapport de mars 2011, consacré à l’ensemble des musées, fut jugé « si explosif que le ministère de la culture s’est opposé à sa publication »(3). Laissons de côté la révision des procédures d’attribution d’ateliers, ou des normes juridiques et administratives qui permettent d’obtenir le statut d’artiste, de calculer des droits sociaux, les dispositions actuelles n’étant plus adaptées à un univers des plus précarisés. On ne s’attardera pas non plus sur le soutien des artistes en direction de l’étranger (absence de visa de travail et lourdes formalités douanières freinent le rayonnement de la France à l’étranger). Ne retenons que la défense du droit d’auteur. La mode actuelle est au partage des informations, à la libéralisation des échanges y compris en matière intellectuelle et artistique. Le droit d’auteur est donc de plus en plus présenté comme un archaïsme, un frein à la diffusion des connaissances, une privation du collectif au bénéfice d’un égoïsme particulier. Le droit anglo-saxon étant beaucoup moins favorable aux auteurs que la législation européenne, la tentation est grande, pour l’oligarchie au pouvoir, de céder aux mirages du mondialisme. Or, ne pas permettre à un auteur de vivre de son travail c’est, à terme, tuer la poule aux œufs d’or. Ici, comme dans d’autres filières, les différents intermédiaires prospèrent au détriment du producteur initial et toute la chaîne fait pression pour qu’il accepte de moins en moins de rétribution et ainsi sauver ou agrandir les marges… Résister c’est apprendre, créer et transmettre Dans la mesure où la MDA représente tous les artistes, de toutes les modernités, certains doutent de sa capacité à être un contre-pouvoir, puisque il est historiquement démontré que la modernité de rupture est prédatrice de la modernité de synthèse. Sur le net les propositions fusent. La suppression du corps des « inspecteurs de la création artistique » est un vœux fréquent : rien que leur intitulé hérisse le milieu artistique depuis des lustres. Car enfin, un inspecteur inspecte normalement d’autres fonctionnaires, or ceux-ci inspectent des artistes, fonctionnarisant ainsi la profession artistique !
Autre revendication : créer une deuxième école Nationale des Beaux Arts où seraient enseigné les métiers artistiques, les techniques de l’œil et de la main, au plus haut niveau. Les Beaux-arts actuels, si mal nommés, deviendraient « l’ Ecole d’Art contemporain », on y enseignerait, comme aujourd’hui, le marketing, la mise en réseau, les détournements sémantiques, l’art de courtiser les subventions etc. Proposition conjointe : demander qu’un certain nombre de commandes, d’achats, de résidences d’artistes, de séjours à la Villa Médicis, de bourses, soient réservées aux arts de la main avec un accès équitable aux médias du service public de tous les courants artistiques… (car l’exclusion du service publique entraîne celle du privé, tant, en France, l‘Etat depuis Colbert donne le ton) . Bref, certains en arrivent même à imaginer une scission du ministère de la culture en deux : le patrimoine, la modernité de synthèse d‘un côté, l‘art très contemporain, officiel, financier et spéculatif de l’autre avec sa « com » strass et paillette ! C’est dire le malaise d’une profession devant une situation anormale : une administration étatique de la création, gérée de façon opaque par des réseaux fermés. Les artistes veulent d’un Etat régulateur et non plus juge et parti. « Un retournement à 180° » dit le manifeste de la MDA : une révolution ? Christine Sourgins 1-On note aussi la revalorisation de la profession d’historien de l’art …il est vrai que la création d’une chaire et d’une agrégation d’histoire de l’art est un vieux serpent de mer. 2-Ch. Sourgins, Commentaire, N°117, printemps 2007, « Un cas d’inquisition dans l ‘Éducation nationale », p.223 à 230, en ligne sur le blog. 3- Ariane Warlin, « La face cachée du Louvre », Michalon, 2012, p.162. …………………………………………………………………………………………………………………………………………… Mardi 24 avril 2012 Les artistes font de la résistance : le Manifeste des Arts visuels En 2012, la place de la culture et des artistes a semblé bien ténue dans la campagne présidentielle. Dès 2007, ce fait, déjà notable, avait été attribué à une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques, moins férus de culture que leurs aînés : la Princesse de Clèves, brocardée par le nouveau président de la République, en est restée le symbole. Au-delà des personnes ou des générations, la culture générale sortie des concours de la République ou l’histoire de l’art en passe d’être enseignée par les prof de gymnastique, tout conduit à se demander si les politiques culturelles n’ont pas, aussi, une responsabilité dans l’effacement du monde de la culture au sein du débat politique. Le dernier manifeste
C’est bien ce qu’il ressort de la lecture du « Manifeste des arts visuels » publié par la Maison des artistes (1), qui, forte de ses milliers de membres, entend marquer un soixantième anniversaire revendicatif. Or les manifestes avaient rythmé la marche de l‘Art moderne : celui du Futuriste Marinetti lança, en 1909, le genre avec fracas « à vos pioche et à vos marteaux », suivit par ceux de Dada ou du Surréalisme pestant contre « les êtres révolutionnairement mal intentionnés », textes passés à la postérité. Mais, après les manifestes des années 70 et ceux de l’allemand Beuys, qui rêvait d’un art dilué dans la vie (et d’une « sculpture sociale » réalisée à coup de référendum), le genre s‘était fait rare : le temps des grands récits était passé, on ne croyait plus aux lendemains qui chantent. L‘art, longtemps aventure collective, avec des courants et des groupes faisant loi, voyait alors les artistes se replier frileusement sur leur atelier. Beaubourg n’était pas, en France, étranger à ce repliement, les Frac, Drac et autres « inspecteurs à la création artistique » non plus : ils prirent en main une étatisation de l’Art qu’épingla Marc Fumaroli dans son Etat culturel. La marchandisation fera le reste. Et l’artiste, aujourd’hui, se trouve affronté à un art officiel inouï, inédit dans l‘histoire. Non plus imposé par de vieux barbons, académiciens, certes, mais artistes quand même, l’art officiel du XXI ème siècle est dirigé par une bureaucratie alliée à la finance. Et cet art officiel est sans contrepoids : l’Etat, L’Eglise (2), les grands entrepreneurs, tout ce qui possède argent, pouvoir ou légitimité soutient la même mouvance artistique qu’on appelle abusivement Art contemporain. Car cet art est l’art d’une toute petite partie de nos contemporains. Le Manifeste de la MDA le rappelle : « le paysage artistique officiel actuel ne privilégie qu’un petit nombre d’artistes au détriment d’une majorité pourtant extrêmement riche et diverse, et au détriment d’un public dont on restreint et dénie la liberté de choix » ; et depuis 10 ans, outre un glissement « vers le business-art ou financial-art », « il s’est produit une collusion scandaleuse entre l’art spéculatif globalisé et uniformisé et l’Etat culturel de notre démocratie ». La MDA le dit sans ambages, tant le fait est criant : les artistes sont « tenus à l’écart par une administration de la culture qui ignore la diversité de la création pour n’avoir d’attention que pour une minorité d’artistes conformes à ce qu’il faut appeler « une esthétique d’état » ».« Depuis trente ans, exactement, nous assistons à une érosion systématique de la place des artistes et de leurs représentants dans les circuits de décision et les choix sur les politiques culturelles ». Depuis trente ans donc, que le vent politique souffle vers la gauche ou vers la droite, la mise à l’écart des artistes se poursuit. Pourquoi s’étonner, dès lors, de leur absence dans le débat politique, de leur réticence à soutenir les uns ou les autres ? La bureaucratie culturelle est au-dessus des partis : Mr Aillagon, ancien ministre de la culture d’un gouvernement de droite, introducteur de l’art Blink-Blink à Versailles…soutient Mr Hollande. C’est dire si le système fonctionne en vase clos, poursuivant ses intérêts propres.
Fin 2011, la Maison des Artistes a donc appelé ses adhérents à élaborer ce Manifeste qui, cas rarissime dans l’histoire des manifestes, s’adresse non pas seulement au public ou aux autres artistes, mais d’abord à l‘Etat. Le manifeste est un genre littéraire qui satisfait à 3 points, ici respectés : refuser un état de fait artistique, en promouvoir un autre et surtout, très important, signer. Ici, le nombre de contributeurs bat des records : 17 000 ! Car la MDA a tenu à consulter tout le milieu : « des avant-gardes aux expressions les plus classiques » autrement dit sans oublier les plus nombreux, les « laissés pour compte des politiques culturelles ». Le rôle d’internet serait à souligner dans la renaissance d’une action collective : grâce au net, les artistes retrouvent, depuis une dizaine d’années, une convivialité évanouie. Il ne faudrait pas que la roublardise étatique, sous couvert de protéger les droits des artistes, leur confisque, via une énième mouture d’Hadopi, cette liberté retrouvée. Pour « inscrire dans un temps historique l’exaspération des artistes créateurs », la MDA a choisi le moment où les historiens s’intéressent à nouveau à ce fait majeur de la vie intellectuelle et politique : le manifeste. Vient de paraître en librairie, « Démocratie et Révolution , cent manifestes de 1789 à nos jours », un ouvrage de référence dont Stéphane Courtois est un des maîtres d’œuvre (3) et qui éclaire un leit-motiv du manifeste des Arts visuels : « les pouvoirs publics depuis trente ans ont failli à leur mission d’encouragement et de développement de la diversité de la création et des créateurs » et le manifeste de revendiquer :« l’expression de toutes les diversités » et même : cette « liberté de toutes les diversités », « il faudra l’arracher aux pouvoirs publics ».
Dans « Démocratie et Révolution », le chapitre « Vie et mort des manifestes artistiques » (4) démontre que le premier manifeste de l’Art moderne n’est pas celui de Marinetti, comme on se plait à le croire. Bien avant lui, en 1891, l’excentrique et esthète Sar Péladan publia dans le Figaro le proto-manifeste des arts plastiques pour la période moderne, celui du Salon Rose-Croix. Or ce texte n’est pas révolutionnaire comme celui de Marinetti qui, pour la première fois, demandait aux artistes de détruire les musées et toute forme de tradition. Péladan lui, prend la défense du « Beau contre le laid, du rêve contre le réel, du Passé contre le présent infâme, de la Tradition contre la blague ». Le manifeste pictural n’est donc pas né offensif mais défensif : « à la race latine qui va mourir, nous préparons une dernière splendeur, afin d’éblouir et d’adoucir les barbares qui vont venir ». Il convient aussi de souligner que bien des mouvements d’Art moderne se passeront de manifeste : les impressionnistes n’auront qu’une œuvre-manifeste, « Impression soleil levant » de Monet, mais point de texte signé, les pointillistes, si méticuleux mais presque tous anarchistes, sont dans le même cas. Rien pour les Fauves ni pour les Cubistes. Apollinaire sera l’auteur, en 1913, d’un manifeste qui tient, pour une part, de la farce : « l’Antitradition futuriste, Manifeste-synthèse », « synthèse » le mot clé est lâché. Car Apollinaire commence par crier « à bas le passéisme ! » alors que Marinetti hurlait pour faire du passé table rase. Et c’est toute la différence entre modernité de synthèse et modernité de rupture. En 1909, avec le Futurisme, c’est cette modernité de rupture, celle des avant-gardes, qui s’impose et va confisquer la modernité de synthèse qui s’accommodait fort bien, jusque là, d’une innovation qui fût sœur de la tradition et œuvrait avec le meilleurs de son temps et non pas contre lui. Cette modernité de synthèse, soit se passe de manifeste, soit en produit de défensifs dans la lignée de Péladan. Certains modernes, et non des moindre, se sont méfié de l’idée d‘avant-garde, comme Baudelaire : « Les poètes de combat. Les littérateurs d’avant-garde. Ces habitudes de métaphores militaires dénotent des esprits non pas militants, mais faits pour la discipline, c’est-à-dire pour la conformité, des esprits nés domestiques. » L’histoire des manifestes fait donc clairement ressortir le clivage des deux définitions de la modernité. Longtemps ces deux pôles arrivaient, tant bien que mal, à pulser, à palpiter, puis l’Etat s’en est mêlé et a systématiquement privilégié la modernité de rupture, celle des « avant-gardes »…jusqu‘à éradiquer les tenants de la modernité de synthèse. Voilà l’origine historique de ce que le manifeste de la MDA appelle « une ségrégation artistique ». A suivre…
(1) La MDA assure une mission de service publique (association agrée par l’Etat elle gère les assurances sociales des artistes) et d’autre part elle remplie une mission d’intérêt général : l’accompagnement des artistes dans leur vie professionnelle.
(2) Aude de Kerros, « Sacré Art contemporain : Evêques, inspecteurs et commissaires », Editions Jean Cyril Godefroy, (3) « Démocratie et révolution », Presses universitaires de l’ICES, éditions du Cerf, 2012. Voir aussi Antje Kramer ,« Les grands manifestes de l’art des XIXème et des Xxème siècles », Beaux-Arts éditions, 2011. (4) Chapitre X, Christine Sourgins, in « Démocratie et révolution » op.cit. p. 567 et ss.L’émission dure 35 mn, j’interviens dans le dernier quart d’heure… Suivre le lien ci-dessous :
http://www.histoire.fr/histoire/emissions/historiquement-show/0,,7128678-VU5WX0lEIDQ5Ng==,00-historiquement-show-94-manifestes-.html
L’ex-homme d’affaires et amateur d’art, Robert Rubin, président la Fondation Centre Pompidou, ne mâche pas ses mots concernant la gestion du Centre. (Le Monde du 25 février, p.2)
« La direction a payé très cher le rédacteur en chef de la revue Beaux-Arts pour qu’il soit co-commissaire de l’exposition « Paris-Delhi-Bombay » en 2011. Outre l’insulte aux conservateurs du Centre, l’exposition était médiocre, le nombre d’entrées peu significatif, et elle a coûté 2 à 3 fois le prix d’une exposition normale ». Néanmoins : « C’est en France que je trouve des passionnés qui aiment les œuvres sans évoquer leur coût . Mais tout cela est menacé ».
Pourquoi ? Cet américain est fort lucide sur nos lubies : « On demande aux lieux culturels de s’inspirer du modèle américain, de trouver de l’argent, mais sans avoir encore ni les armes, ni la mentalité, ni la culture pour y arriver. » De plus, l’Etat ne donne pas l’exemple aux collectionneurs qui sont, aux USA, « fiscalement encouragés à donner ». « Là encore, je ne vois pas l’Etat français prendre ce chemin ».
A la suite de l’opération Louvre /Abou Dhabi, quand l’Etat intime à d’autres musées (y compris au centre Pompidou ) de faire de même, il est injuste, conclue Robert Rubin, car « aucun autre musée que le Louvre ne pourrait refaire cette opération ».
Conclusion à méditer : « Il est plus facile à un conservateur d’apprendre la gestion qu’à un gestionnaire d’apprendre l’art ». Et c’est un américain, ex homme d’affaires, qui le dit !
Christine SourginsJean Clair, interrogé à propos de son dernier livre, « Hubris », chez Gallimard, signale que « l’exposition du grand peintre américain Edward Hopper (1882-1967) prévue pour octobre prochain au Grand Palais a été refusée au Centre Pompidou parce qu’Hopper est considéré comme réactionnaire et académique », au passage on apprend qu’au Moma de New York « la Rue de Balthus achetée par Barr, le directeur du musée, dans les années 30, a été descendue des cimaises, en même temps qu’un superbe paysage de Hopper, cela au nom d’une vision de l’histoire débouchant, j’imagine, nécessairement sur Damien Hirst ». La haine de la peinture n’est pas un vain mot !
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Christine Sourgins
Cette pièce de théâtre, de et par Jacques Mougenot, est « incontournable » pour comprendre la scène artistique officielle (et en rire). Mais la bande annonce (cliquez) vous en dira plus long ainsi que cette lettre ouverte …
Combien sommes nous à avoir été cruellement déçus lors de la grande rétrospective organisée en mars 2009 au centre Georges Pompidou(1) ! Alors que 9 salles entièrement immaculées resplendissaient de blancheur, pas une n’était consacrée à Dussaert. Quel scandale, alors que tous ses prédécesseurs, à commencer par Yves Klein, avaient droit à leurs exégètes : rien, pas même un mot dans un catalogue de 500 pages !
Sagesse chinoise…ivresse provençale.
Les chinois se distinguent donc des nouveaux riches de la mondialisation : ils soutiennent d’abord leurs artistes et leur tradition culturelle. Ces six premiers artistes chinois au classement 2011 n’étaient pas, (ils sont tous morts), des grands noms de l’art-contemporain-passe-partout : ils pratiquaient un art classique chinois, ou modernisé. L’un d‘eux, Zhang Daqian, (550 millions de dollars) a « battu » Picasso comme Warhol !
Bref, l’argent chinois n’alimente pas la bulle d’un art contemporain mondialisé, et l’Etat chinois, qui avait persécuté nombre de peintres et de calligraphes, a su faire machine arrière dans sa politique culturelle.
De la peinture industrielle ? Non seulement la valeur du tableau est menacée mais les questions d’assurance peuvent devenir délicates. Le cas est tellement fréquent, pour les œuvres d’AC, qu’une conférence au titre explicite ,« Avant que l’art ne s’effondre », fut organisée en 2003 à la Royal Society of Arts de Londres par la compagnie d’assurances AXA Art : elle révéla un point d’achoppement, un gros point noir. En effet, certains artistes d’AC ne voyaient pas très bien où était le problème : ils considèrent l’utilisation de matériaux éphémères comme partie intégrante de leur travail.
–Désolée. Nous avons déjà nos propres éditions. Si c’est un ouvrage sur le Louvre, il doit être produit par le Louvre !
C’est ce que s’entend répondre Ariane Warlin qui enquête sur le musée le plus fréquenté du monde. A ces fins de non recevoir la journaliste opposera son obstination à comprendre : son ouvrage, « La face cachée du Louvre », vient de paraître aux éditions Michalon. Vous y traverserez les coulisses du Louvre d’Abu Dhabi, du Louvre-Atlanta, du Louvre-Lens, ou comment la culture est instrumentalisée au profit de la politique, voire des ventes d’armes. Comment aussi, depuis qu’une pyramide s’est installée au Louvre, son directeur, Henri Loyrette, jouit d’un pouvoir pharaonique au point d’être plus puissant que ses autorités de tutelle. Et ce dans la plus entière opacité : un rapport de mars 2011, consacré à l’ensemble des musées, fut jugé « si explosif que le ministère de la culture s’est opposé à sa publication » (p.162). Bref l’ambiance est délétère avec crises de nerf dans les couloirs : « on critique plus volontiers la gestion humaine de France Télécom que celle du Louvre. Pourtant le harcèlement moral y semble également de rigueur » (P. 155). Le Louvre, une entreprise comme une autre ? La censure et le fait du prince auront alors beau jeu de la déguiser en stratégie commerciale doublée du secret d’Etat !
L’ambition est élevée : réfléchir à la suite de Breughel sur ce Pain du ciel moulu par un céleste moulin (mise en décor impressionnante) qui n’est autre que ce Pain vivant, le Christ broyé par la vindicte humaine lors de la Passion. D’un premier abord, l’esthétique du film est superbe, grands plans d’ensemble, costumes somptueux, bons comédiens. Maigres dialogues mais pour laisser parler l’image. Jusqu’à la mise à mort d’un jeune homme par les rouges mercenaires à la solde des espagnols, le film marche effectivement au rythme du tableau. On comprend bien la parabole visuelle : le Christ se continue en tout innocent persécuté et le plus important est dérobé au regard de la foule. Que le cinéma l’explicite, bravo ! Mais dire que « le Christ est au centre de la toile comme une araignée » est une métaphore plus discutable car l’araignée est prédatrice et le Christ, au contraire, victime.
Puis l’historien aperçoit des détails qui grincent : les bicornes des bourreaux ne sont apparus que sous Louis XV…Marie-Charlotte Rampling porte une coiffe plus une guimpe (or c’est l’une ou l’autre). Mais surtout : Breughel dessine …avec des gants ! Certes chic et beaux, ces gants de peaux, mais la Flandre n’est tout de même pas la Laponie. Ce n’est pas une bévue accidentelle car le cinéaste persiste et signe : Breughel tient dans la main un fusain tandis que son esquisse est une mine de plomb ! Après tant d’années à dénigrer la peinture, à prendre ses distances avec cette activité salissante, voilà qu’un cinéaste prend lui aussi des gants pour parler d’un tableau ! Son Breughel (au costume aussi impeccable que le costard de trader de Koons ) ne s’abaisse pas à peindre : il dessine, compose, raisonne. Mais jamais n’entrera dans le vif de la peinture, c’est-à-dire dans le vif du sujet !
Mais il est des ratages qui font sens. On sort édifié : le Père Breughel avec ses pinceaux et ses chiffons reste indépassable ; toutes les images de synthèse ne remplaceront pas une vraie peinture. Rien que pour cela, et pour le plaisir de l’œil, on devrait quand même aller voir « Breughel, le moulin et la croix » .
Christine Sourgins
Merci à Agnès E. pour ses remarques de professionnelle du costume et du cinéma.
Le luxe pris la main dans le Tag…
Le tag est une pratique qui suscite des réactions contrastées. Art d’aujourd’hui pour les uns ; exemple de la confusion des genres pour les autres, quand sous la houlette de Jack Lang, cette activité, née dans la rue pour la rue, fut détournée vers le musée et la marchandisation.
Ce phénomène est loin d’être un simple jeu, parfumé d‘interdit. Il y a le tag et le graff, ce dernier demande plus de recherches graphiques, jusqu’à la 3D ; il peut être lié à des groupes en compétition dans la rue et…sur internet où la guerre de territoires fait rage. Le tag est plus individuel, c’est une signature, le jeune l’appose le plus en vue possible, le plus souvent possible : autoroute, train, métro, et son nom voyage fantasmatiquement d’un bout à l’autre du continent.
Enflure de l’ego, assurément. Ecoutez un jeune sorti de « l’enfer du tag » comme d’autres de la boisson, et vous mesurerez à quel point cette pratique est une addiction : du matin au soir, c’est une obsession, chaque intervention est préparée comme un défi à relever, dans une sorte de « toujours plus » qui peut finir par de gros ennuis avec la police et la justice… Décrocher est difficile, tant le mental s’accoutume et réclame sa dose d’adrénaline, suivie du contentement d’avoir épaté, non la galerie, mais la rue, la rame, la ligne, et pourquoi pas la planète entière. S’y ajoute une soumission sans vergogne à une américanisation caricaturale : un bon graff se doit de causer « globish ». Mes sympathiques interlocuteurs revendiquaient une identité française…un slogan yankee à la main. De quoi laisser songeur : cette activité réputée transgressive porte à incandescence, bien au contraire, les valeurs d’une société férocement marchande : esprit de compétition, médiatisation forcenée, conduite addictive, appropriation de l’espace privé comme publique sur le mode « du plus fort ou du plus malin qui a toujours raison ». Pas de quoi empêcher de dormir les multinationales qui veulent breveter le vivant par exemple.
Le graffiti est apparu dans les cahiers de tendance dès la fin des années 90, Vuitton s’en saisit pour casser une image « tradi » et viser un public nouveau. En 2001 Marc Jacobs faisait donc taguer des sacs à main par Stephen Sprouse, mais il se murmure dans le milieu des graffeurs que le dit Stephen… était inconnu au bataillon des graffeurs…
Quoi, un quasi faussaire en somme ? Le luxe pris la main dans le tag…
Christine Sourgins*cf « Une bombe contre les marques », article de H. Gonzales in Les Inrockuptibles du 28.09.11, pages 76 à 80.
D’après le SUNDAY TIMES du 15 janvier 2012, trois experts des Maîtres historiques, dont un de renommée internationale, viennent de claquer la porte de la Tate Britain qui regroupe les collections d’art britannique, de la Renaissance à aujourd’hui.Le musée étant dirigé par Penelope Curtis dont les vues « modernistes » sont connues, désormais tous les postes importants sont occupés par les tenants de l’art très contemporain à l’assaut du patrimoine.
(merci à M. Favre-Félix pour l’article et à Nancy pour la traduction)
« Culture politique et politique culturelle ; L’Etat et Dieu dans l’art dit contemporain »
Catherine Rouvier
La revue Nuances publiée par l’ARIPA*, ( Association pour le Respect de l’Intégrité du Patrimoine Artistique), est incontournable pour les professionnels de la restauration mais également fort utile aux amoureux de l’Art, qui peuvent ainsi comprendre pourquoi des tableaux de musées ont l’air soudain « lessivés ». Son dernier numéro éclairera tous ceux qui s’interrogent devant les Pélerins d’Emmaüs de Véronèse, oeuvre conservée au Louvre : le nez de la mère de famille s’allonge, tel Pinocchio, depuis 2004, avec une nouvelle poussée en 2009… La revue n’hésite pas, photos à l’appui, à mettre les plus grands musées en face de leurs responsabilités : elle prône le savoir-faire mais aussi le savoir ne pas faire, car il est des remèdes pire que les maux et des restaurations qui virent à l’exécution. A la lecture de « Nuances » on comprend combien l’Art trop contemporain, qui prise les couleurs vives, peut influencer les restaurateurs : la tentation est grande pour eux de « créer l’événement » en rénovant de manière « flashy » un vieux tableau afin de lui donner un coup de jeune et d’attirer les médias par une différence criante avant/après.
Nuances signale en outre une nouvelle forme de restauration « virtuelle » : il s’agit de projeter sur le tableau une image spécialement conçue pour donner l’illusion que le tableau a retrouvé son aspect d’origine. Depuis 10 ans un procédé similaire colorise à l’aide d’images numériques les sculptures jadis peintes de certaines cathédrales.
Le procédé a été utilisé pour 5 toiles de Rothko offertes à Harvard. Les couleurs pourpre avaient viré au gris et en 1979 les Rothko avaient été décrochés et remisés. L’image projetée rétablit donc la couleur pourpre. Ce subterfuge rachète une faute de conservation car, en la matière, Rothko n’est pas à blâmer. Certes, il avait utilisé un nouveau pigment synthétique le Lithol Red, qui a viré, mais celui-ci était à l’époque certifié bon teint par les scientifiques les plus renommés. Le peintre utilisait sinon une technique classique et saine (toile, colle animale, essence, huile.. ) et refusait tout vernis protecteurs (alors que les conservateurs américains ne juraient que par les vernis synthétiques… qui sont devenus gris opaques et difficiles à dissoudre ). La catastrophe du pourpre qui vire au gris ne serait pas arrivée si les intentions de Rothko avaient été respectées : il demandait une lumière tamisée, qui conférait à ses toiles un caractère mystérieux. Harvard les mis en plein lumière… près de baies vitrées….!
Facilement réversible, la restauration virtuelle ne devrait pas poser problème, pourtant elle bafoue à nouveau les intentions de l’artiste : « Rothko ne se serait pas soucié que (ses peintures) paraissent vieilles et fanées ». « Il avait une grande déférence pour les œuvres des maîtres anciens, la manière dont-elles s’assombrissaient avec l’âge et prennent un aspect si noble, imposant. De cette manière, vous concevez les peintures anciennes comme des survivants, comme des êtres vivants », a déclaré une de ses amies, une historienne de l’art reconnue. Les peintres, à l’instar de Victor Hugo qui défendit qu’on dépose de la musique sur ses vers, devront-ils interdire de plaquer du numérique sur leur travail ?
Les œuvres dégradées de Rothko servent donc à créer des œuvres virtuelles, où « l’erreur est expiée par le miracle technologique, l’irréparable est transformé en triomphe ».
Un autre article donne à réfléchir sur un type d’éclairage fort séduisant qui se multiplie « quand les musées disposent de trop d’argent » et de technique : le spot projette alors sur le tableau un rectangle lumineux de la taille exacte de la toile. L’image peinte paraît alors se détacher du mur, elle semble léviter. On pourrait y voir un désir, via la technique, de réintroduire « l’aura de l’œuvre », perdue au XXème siècle comme Benjamin l’avait analysé. La revue Nuance y voit plutôt un procédé qui rattache perfidement la peinture « aux images virtuelles rayonnant sur les écrans plats de nos ordinateurs et de nos télévisions ». « Les conservateurs, professionnels de la culture, se rendent-ils compte que ce petit gadget annihile ainsi plusieurs siècles de culture artistique ?».
Il ne s’agit pas, pour autant, de refuser toute avancée technique. Car, de la mésaventure de Rothko, la revue Nuances tire une leçon de sagesse. Puisque les conditions de présentation peuvent corriger les problèmes de perception d’une œuvre, inutile d’intervenir drastiquement sur des œuvres fragiles. Le jaunissement de certains vernis pourrait alors être atténué par une teinte assourdie pour les murs environnants, l’œuvre étant éclairée par une lumière légèrement chaude : on ne devrait donc plus « lessiver » les vernis. Cette correction chromatique reconstitue tout simplement les conditions dans lesquelles les peintures étaient présentées à l’époque de leur création.
En restauration aussi « la sobriété heureuse » est de mise…
Christine Sourgins
*Pour tout renseignements sur « Nuances » : aripa@laposte.net